Avec une carrière entamée il y a plus de 45 ans, Sting a su faire le pont entre les générations comme bien peu d’artistes de notre époque. Mais nos souvenirs mitigés du dernier passage du chanteur avec ses collègues de The Police nous forcent à être sur nos gardes. Cela fait 15 ans, ça ne s’est certainement pas amélioré, craint-on…

Basse en bandoulière, micro-casque devant la bouche, vêtu d’un simple T-shirt, Sting a déjà la foule dans sa poche quand il s’installe au centre de la scène, élégamment dépouillée pour mettre l’accent sur les musiciens. Il invite les spectateurs à taper des mains dès Message in a Bottle, pièce indémodable qui lance les festivités en ne laissant aucun doute sur la forme de sir Gordon Sumner. Tout le monde au parterre se lève d’un bond pour mieux voir le bassiste de 70 ans, mince comme un fil, la voix puissante et juste, bien plus, en fait, que lorsqu’il était passé la dernière fois au Centre Bell avec son ancien groupe.

La magie opère avec l’enchaînement judicieux de grands succès tels If You Love Somebody Set Them Free, Englishman in New York et Every Little Thing She Does Is Magic. « Vous êtes ici pour les hits, c’est super ! Maintenant, les mauvaises nouvelles, je vais jouer des nouvelles chansons, annonce Sting en glissant quelques mots de français çà et là. Mais qu’est-ce qui fait qu’on sait qu’on a un succès ? Je le définis comme ça : en 1978, j’ai été réveillé par un ouvrier qui nettoyait les fenêtres de mon hôtel, il sifflait une chanson que j’ai reconnue. C’était Roxanne. C’était ça, un hit. La prochaine chanson, j’ai commencé à la composer en sifflotant. »

Assis sur un tabouret, avec un seul projecteur dirigé vers lui, Sting enchaîne avec If It’s Love, première de quatre chansons tirées de son nouvel album, The Bridge, l’un de ses plus beaux efforts depuis longtemps.

Le public est moins discipliné, on entend discuter autour de nous, mais les oreilles se tendent à nouveau quand le choriste Gene Noble se lance dans un solo franchement inspiré pendant Loving You. Le public reste ensuite accroché avec Rushing Water, sans doute la meilleure chanson de The Bridge.

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Sting a offert une soirée généreuse à ses fans montréalais.

« Enfant, j’avais deux rêves, celui d’être musicien — j’ai dû souhaiter fort, parce que me voilà devant vous, raconte ensuite Sting en rigolant. Mon autre ambition était de devenir cowboy. J’adore donc la musique country, mais j’ai un problème d’authenticité, parce que je ne viens pas d’El Paso, mais plutôt du nord de l’Angleterre ! Alors quand le grand Johnny Cash a joué une de mes chansons, l’une des dernières qu’il a enregistrées, c’était comme un rêve qui se réalisait pour moi. » Belle introduction pour une chanson un peu plus obscure, I Hung My Head, titre de 1996 enregistré pour l’album Mercury Falling.

Vient ensuite la puissante Brand New Day, chanson phare de l’album homonyme de 1999, qui mettait en vedette Stevie Wonder à l’harmonica. Justement, Sting a pris soin de s’adjoindre les services du jeune harmoniciste Shane Sage pour la tournée My Songs ; n’empêche, n’est pas Stevie Wonder qui veut, fait remarquer Sting à son jeune collègue. Défi accepté, défi relevé, avec brio. La pièce suivante est Shape of My Heart, superbe ballade de Ten Summoner’s Tale, tout récemment remise à l’avant-scène par le jeune rappeur Juice WRLD, qui l’a abondamment échantillonnée dans son récent succès Lucid Dreams ; beau joueur, Sting a invité son choriste Gene Noble à reprendre quelques passages de la nouvelle chanson, le public a apprécié.

Un peu de tout

Ce n’est un secret pour personne, Sting a flirté avec le reggae dès les premiers disques de The Police. Si les nouveaux arrangements de Wrapped Around My Finger faisaient regretter l’originale, la conversion reggae de Walking on the Moon et de So Lonely était parfaite, la première chanson glissant tout naturellement dans Get Up Stand Up, la deuxième dans No Woman No Cry, deux classiques de Bob Marley.

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Sting et ses musiciens sur la scène du Centre Bell

Après le Texas et la Jamaïque, Sting se tourne ensuite vers le Maghreb avec Desert Rose, excellente avec l’inspirant duo de guitares en gamme arabe de Dominic Miller et de son fils Rufus.

L’enchaînement final s’orchestre autour de classiques de The Police, comme il se doit, avec King of Pain, Every Breath You Take, Roxanne — transformée en sa partie centrale par un joli clin d’œil jazzy à It Don’t Mean a Thing (If It Ain’t Got That Swing) de Duke Ellington — avant de se terminer avec Driven to Tears, Sting étant rejoint à son tour par son fils Joe Sumner, qui avait assuré la première partie seul avec sa guitare.

Après les salutations d’usage, Sting est resté seul sur scène pour chanter la ballade The Bridge, belle conclusion à une soirée qui aura eu l’effet d’effacer quelques anciens souvenirs un peu trop tenaces…