Le Montréalais d’adoption Gus Englehorn présente cette semaine son deuxième album, Dungeon Master, objet musical aussi intéressant qu’indéfinissable. Entretien avec cet ancien professionnel de planche à neige reconverti en ovni de la musique.

Gus Englehorn s’est mis à jouer de la guitare à peu près en même temps qu’il amorçait sa carrière professionnelle de planchiste. Si son énergie était principalement consacrée à son sport à l’époque, il savait que les années à voyager dans le monde pour participer à des compétitions et à se donner corps et âme à cette carrière ne dureraient pas. « Tu peux faire ça jusqu’à 30 ans environ. Ton corps souffre et finalement, tu ne peux plus subir tout ça. Alors, je me suis toujours imaginé le jour où je ne pourrais plus faire de snowboard », explique l’auteur-compositeur-interprète originaire de l’Alaska, désormais établi au Québec.

L’athlète, alors connu sous le nom de Gus Engle dans le monde des planchistes, avait « un plan ». Alors qu’il dévalait les pentes de par le monde, il nourrissait également sa passion pour la musique, dans le but de se lancer une fois le moment venu. « J’apprenais à écrire des chansons, dit-il. Je m’imaginais une transition douce, de snowboardeur pro à compositeur. » Finalement, la douceur a lourdement manqué lorsqu’il a changé de cap. Vers ses 28 ans, il a perdu ses commanditaires et a ensuite passé « deux ou trois années à être juste complètement perdu », confie-t-il.

Nous attrapons Gus Englehorn par téléphone alors qu’il est sur la route entre Montréal et Toronto. C’est sa femme, l’artiste visuelle (et batteuse) originaire de Québec Estée Preda, qui conduit. Elle est la complice artistique de Gus. La conversation passe de l’anglais au français lorsque c’est elle qui s’adresse à nous.

PHOTO DU COMPTE TUMBLR DE L'ARTISTE

L'artiste visuelle et musicienne Estée Preda

La musique était peut-être son premier amour. Même comme snowboardeur, sur les pistes, il était déjà obsédé par la musique. Il avait ce côté excentrique. Il faisait du snow habillé comme David Bowie !

Estée Preda, artiste et conjointe de Gus Engle

Le travail du subconscient

En 2020, Gus Englehorn a fait paraître son premier album, Death & Transfiguration. Ce premier disque, il a mis 13 ans à l’écrire, dit-il. Pour son deuxième opus (le premier sous contrat de disque, avec Secret City Records), Dungeon Master, sorti vendredi, il ne lui a fallu que six mois. Tout est sorti d’un coup.

S’il était un planchiste que l’on remarquait par son style atypique, on pourrait dire la même chose de sa musique. Le rock est étrange lorsque Gus Englehorn le manipule. Les sons sont percutants, dans un fouillis organisé parsemé de cordes et de synthétiseurs. Estée décrit ce qu’il compose comme quelque chose qui se rapproche du dadaïsme par son caractère subversif, qui exprime une grande liberté et donne une possibilité à tous d’y avoir accès.

L’album est souvent présenté comme tout droit sorti du subconscient de l’artiste.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L’auteur-compositeur-interprète Gus Englehorn

J’avais l’impression, au départ, que ce n’était que le travail de mon imagination qui créait plusieurs petites histoires. Mais avec le recul, je réalise que ça parle de choses en moi dont je ne suis pas complètement conscient, qui se logent dans les profondeurs de mon esprit.

Gus Englehorn

Nous revenons sur le terme « histoire ». Car les textes de Gus Englehorn empruntent très souvent une forme très narrative. Des scènes se forment dans notre esprit lorsqu’on écoute ce qu’il nous chante, parfois d’un ton presque parlé. Un peu comme de courts films. « C’est exactement ça. Les films sont probablement ma plus grande influence, lance Gus. Si je pouvais vivre avec le niveau d’organisation nécessaire pour faire des films, j’essaierais sûrement d’être cinéaste ! »

Par exemple, la chanson The Gate, qui ouvre l’album, puise son inspiration à même le film Rebecca d’Alfred Hitchcock, dit-il, en citant mot pour mot une réplique du personnage du film de 1940.

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Couple de musiciens

« Ce que j’essaie de faire, c’est de tracer une ligne entre deux émotions, décrit Gus Englehorn. Par exemple, la folie et le plaisir. Souvent, c’est la tristesse et une autre émotion ! Je veux que les gens soient désorientés, qu’ils ne sachent pas quoi ressentir ou nommer exactement le sentiment de la chanson. Je pense que ces contrastes peuvent amener des émotions complexes. »

Sur scène, Gus présente cette complexité musicale avec Estée, placée derrière la batterie. Cette dernière signe aussi l’aspect visuel du projet, notamment en réalisant ses vidéoclips. Le duo semble fusionnel, l’un terminant les phrases de l’autre, Gus vantant souvent tout le talent de sa femme. « C’est notre grand coup de chance de nous être trouvés », dit Estée.

C’est un match parfait. Estée ajoute les parties à la batterie sur mes chansons et ça fonctionne toujours. J’ai beaucoup de chance. On pourrait croire que n’importe qui peut jouer ensemble, mais quand je travaille avec d’autres, je me rends compte que ce n’est jamais comme lorsque je joue avec Estée.

Gus Englehorn

Gus confie par ailleurs vivre une période de transition à l’heure actuelle. Les bons moments passés en isolement, à ne penser qu'à la musique, laissent place à la plus dure réalité de la sortie de l'album. Sa relation au succès demeure ambiguë. Il a trouvé cette passion, mais au fond, il se cherche encore un peu. Peut-être que l’effervescence du lancement l’aidera à se remettre sur pied ? « Peut-être ! », répond-il. « Il y a aussi beaucoup de très belles choses dans ce métier. »

Pour le lancement de Dungeon Master, Gus Englehorn et Estée Preda monteront ensemble sur la scène du Scanner à Québec, le 8 mai, puis de L’Esco, à Montréal, le 7 mai prochain.