Patrick Watson dévoile ce vendredi un septième album intitulé Better in the Shade, où il souligne la grande valeur des petits moments du quotidien dans un monde complexe et incertain. Entrevue.

« On ne peut plus rien prévoir dans ce monde, lance en boutade Patrick Watson. Tout est devenu un peu instantané. »

Watson a écrit et composé la chanson Better in the Shade sans savoir que cela allait devenir la pièce-titre d’un futur album, son septième. Il a été inspiré par l’idée d’apprivoiser la complexité du monde en chérissant les petits moments du quotidien, que ce soit la tombée de la nuit au parc ou notre main étreinte par celle de notre amoureux.

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Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est réel ? « Nous sommes tous un peu dans une bulle où la réalité est strange », expose-t-il.

L’une des certitudes que l’on peut avoir dans nos vies ? Les personnes qu’on aime et l’affection qu’elles nous apportent.

D’ailleurs, sur le premier extrait Height of the Feeling, la phrase préférée de Watson est : I just need your touch so I know I’m here.

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Patrick Watson y chante avec Ariel Engle (La Force), qui cosigne aussi les paroles. Le duo voulait recréer une chimie de dialogues à la Kenny Rogers et Dolly Parton, indique Watson. « C’est une chanson sur l’intimité de deux perspectives différentes. […] Ariel et moi voulions essayer quelque chose de différent et nous avons beaucoup improvisé. »

Synthétiseurs modulaires

Le caractère sans doute le plus distinctif de Better in the Shade s’avère l’instrumentation électronique, manifeste sur les pièces Little Moments et Stay. « J’ai fait beaucoup de recherche pendant la pandémie sur les instruments électroniques. Sur mes albums précédents, je n’avais pas trouvé les bons. »

Watson a découvert les vertus des synthétiseurs modulaires en rendant une visite au studio de son ami, le grand musicien électronique montréalais Amon Tobin. « Le son est plus chaleureux. J’ai trouvé la façon de les utiliser comme un piano. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Patrick Watson

« On en joue au lieu de les programmer, explique Patrick Watson. Cela se mélange bien avec des cordes et ça va mieux avec ma musique. »

Vivian Maier

La pièce instrumentale Ode to Vivian fait écho à l’admiration que Watson porte au travail de la photographe américaine Vivian Maier, disparue en 2009.

S’il y a une femme qui était mieux à l’ombre – clin d’œil au titre Better in the Shade –, c’est bien Vivian Maier. De son vivant, cette gardienne d’enfants n’a jamais dévoilé ses photos. « J’aime l’idée de la nanny qui se promène dans la ville sans savoir qu’elle est une grande photographe. Elle capte des petits moments de la vie », s’émeut Patrick Watson. La pièce Little Moments est aussi inspirée de Vivian Maier.

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« J’aime les artistes qui font des petits moments de la vie quelque chose d’extraordinaire. La job d’un artiste est de rendre une journée normale extraordinaire », poursuit Watson, qui le fait magnifiquement sur plusieurs des chansons de son répertoire, dont la ballade Look At You, tirée de son album précédent Wave, sorti à l’automne 2019.

Wave faisait suite à une série de deuils, et Watson a parfois eu l’impression de paraître trop « dramatique » aux yeux du public quand il présentait la genèse de son sixième album.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Patrick Watson

Jouer de la musique me fait du bien. Les gens me demandent comment un hyperactif comme moi peut jouer de la musique si calme… En fait, je joue de la musique pour ne pas devenir fou.

Patrick Watson

Watson regrette par ailleurs de voir que la tradition de jouer de la musique disparaît dans les chaumières. « On parle beaucoup de la mort du disque. Ce n’est pas ça, le drame, lance-t-il. Avant l’avènement de l’enregistrement, les gens jouaient de la musique dans leur maison. »

« L’histoire de la musique est plus grande que des rock stars qui se plaignent de ne plus voler en jet privé. »

À l’inverse, Watson s’émeut de voir tant de gens reprendre des chansons sur TikTok. Chanter fait du bien au corps et à l’esprit.

Les livres audio

Grande découverte et véritable bénédiction pour un homme dyslexique comme lui : les livres audio. « J’ai pu faire du rattrapage », dit-il avant d’ajouter à la blague qu’il doit lire pour ne pas être largué par sa compagne, l’illustre autrice montréalaise Heather O’Neill.

« Avoir su que j’allais écrire des chansons, j’aurais dû étudier en littérature, enchaîne plus sérieusement Patrick Watson. Si tu ne lis pas, tu ne peux pas écrire. Cela va main dans la main. »

Watson cite deux livres qui ont laissé une grande empreinte sur lui : The Waves de Virginia Woolf (pour tous ces petits et fins détails) et Fever Dream de Samanta Schweblin (pour l’écriture justement fiévreuse).

La lecture du classique de la littérature américaine Jesus’ Son de Denis Johnson l’a aussi beaucoup inspiré pour sa chanson Blue. Dans ce recueil de nouvelles, dont le titre fait référence à la chanson Heroin de Lou Reed (époque Velvet Underground), Denis Johnson dresse le portrait d'un toxicomane qui rencontre des laissés-pour-compte.

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Blue traite plutôt de notre dépendance à la mélancolie pour échapper à un trop-plein. Au lieu d’activer notre petite voix intérieure négative, pourquoi ne pas tendre la main à un être cher ? Patrick Watson reprend une phrase que lui a dite son amoureuse. If you’re not here, well neither am I (que l’on pourrait traduite par : Si tu n’es pas là, eh bien, moi non plus).

Écrire des paroles devient de plus en plus difficile, confie néanmoins Patrick Watson. Il peut composer un air au piano en 20 minutes, mais il n’en est pas de même pour les mots, dit-il. Surtout s’il ne veut pas se répéter.

Nous le trouvons néanmoins dur envers lui-même quand il dit ne pas être un grand parolier, contrairement à un Nick Cave ou un Sufjan Stevens. Surtout qu’en février dernier, Watson a donné un spectacle à Londres avec le chef d’orchestre Jules Buckley et le BBC Symphony Orchestra, où on le présentait comme le géniteur des plus belles chansons de notre siècle.

C’est tout un compliment, lance Watson, mais c’est la combinaison du travail avec une certaine chance.

« Il faut apprendre à être chanceux, précise celui qui est pianiste depuis l’âge de 7 ans. La chance ne nous tombe pas dessus. Disons que tu vas à la pêche chaque jour à la bonne heure et avec le bon appât, tu as plus de chances d’être chanceux. »

S’unir et se consoler dans la musique

Pour en revenir au spectacle présenté au Barbican Center de Londres, Watson voudrait en faire un album. « L’énergie dans la salle était très particulière. C’était juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. C’était un spectacle tellement émouvant. »

Dans l’une des critiques du spectacle que nous avons lues, une journaliste a écrit que le spectacle a permis aux gens présents de se perdre pendant deux heures dans un monde plus beau et sûr.

« J’ai grandi en chantant dans les églises, rappelle Patrick Watson. Ma job est de rendre la vie plus digeste. C’est un emploi humble. »

Un emploi dans lequel il excelle.