Bought a ticket = killed a child : c’est par ces mots écrits en gros caractères qu’étaient accueillis les spectateurs de l’Orchestre symphonique de Montréal mercredi soir à l’occasion d’un concert mettant en vedette le pianiste russe Daniil Trifonov sur fond de guerre en Ukraine. À l’intérieur de la salle, la musique a cependant triomphé et a de nouveau prouvé son pouvoir rassembleur.

L’ambiance était à couper au couteau avant l’évènement, une poignée de manifestants tenant des pancartes dans les fenêtres du foyer du niveau parterre. « Il ne peut plus écouter de musique », soutenait l’une d’elles, accompagnée de la photo d’une victime de l’invasion russe. Une autre affirmait que « la culture russe est une occupation mentale ».

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Devant la salle de spectacle, les manifestants étaient nombreux à porter des pancartes avec des photos de victimes de l’invasion russe.

La directrice de la programmation, Mariane Perron, a inauguré la soirée en lisant, visiblement nerveuse, un texte expliquant le sens des œuvres au programme en lien avec le conflit lancé par Vladimir Poutine.

L’orchestre a dédié ses premières notes au peuple endeuillé avec la Prière pour l’Ukraine, composée par Valentin Silvestrov dans la foulée des manifestations de 2013-2014 dans le pays limitrophe de la Russie.

Enchaînée au tétanisant Concerto pour piano et orchestre à cordes d’Alfred Schnittke, la pièce, empreinte d’une nostalgie planante, a été un véritable sas avant les déferlements du concerto.

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Le pianiste russe Daniil Trifonov était de passage à la Place des Arts pour jouer avec l'OSM, mercredi soir.

Dès les premières notes, Trifonov, qui s’était installé au clavier au début du concert, nous happe, nous prend par la gorge. Le piano hurle sous les doigts du pianiste aux longs cheveux, comme possédé.

Si l’œuvre ne demandait un tel investissement, on croirait qu’il en donne trop. Mais il sait aussi aller cueillir des sonorités insoupçonnables dans la nuance piano, sculptant les résonances du grand Steinway.

Payare accompagne brillamment

Le directeur musical Rafael Payare, de retour à Montréal après plusieurs mois, lui offre un accompagnement de première classe, avec une intensité qui ne fléchit pas et un arc narratif tendu au possible. Résultat ? Un déchaînement du public pour remercier cet artiste d’exception.

On le retrouvera avec bonheur après l’entracte dans le non moins turbulent Concerto no 1 en ré bémol majeur de Prokofiev.

Trifonov s’amuse, joue avec les notes comme un chat avec une souris, nous dessine mille nuances.

Rafale Payare n’est pas aussi transcendant, mais livre néanmoins deux poèmes symphoniques français avec une grande sensibilité. La péri de Dukas, qui achève de nous convaincre que le compositeur de L’apprenti sorcier n’a pas la renommée qu’il mérite, et La mer de Debussy montrent un OSM en grande forme.

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Le chef de l'OSM, Rafael Payare

Il peut être difficile de bien saisir l’architecture de ces œuvres dont le morcellement rappelle le montage cinématographique. Payare réussit néanmoins à conférer une certaine cohérence à ces successions de motifs et de thèmes souvent disparates. Mais on pourrait espérer un peu plus de contrastes.

Le début de La mer apparaît ainsi quelque peu prosaïque, un brin trop volontaire, comme plusieurs passages lents de La péri. C’est comme si certains épisodes rapides manquaient d’un soupçon d’emportement et les passages lents d’un tantinet de détente, de tendresse.

Entendons-nous bien : l’ensemble est en général très satisfaisant. Les précédentes réserves marquent toutefois la différence entre une très bonne prestation et un coup de cœur absolu.

Le concert est repris ce jeudi soir à 19 h 30 et sera offert en webdiffusion sur osm.ca du 10 au 31 mai.