L’actrice et pianiste rend hommage sur son premier album aux nombreuses femmes qui l’ont inspirée

La dernière fois que nous avions interviewé Lysandre Ménard, c’était à bord du taxi qui la menait à l’aéroport Trudeau. Nous étions en 2016. Elle s’envolait pour la France pour promouvoir le film La passion d’Augustine avec sa partenaire de jeu Céline Bonnier et la réalisatrice Léa Pool, juste avant d’assister au Gala du cinéma québécois où elle était nommée dans la catégorie du meilleur rôle de soutien.

Dans son premier album officiel, Sans oublier, Lysandre – elle retranche son nom de famille dans la sphère pop – n’a pas voulu mettre en valeur sa virtuosité au piano.

« Je ne suis pas encore dans l’état d’esprit d’un premier album en solo au piano. Après toutes ces années seule à répéter, j’avais soif de collaborations et de musique entre amis. J’avais aussi envie d’être davantage dans la pop et la poésie », explique celle qui cite Beach House, Feist et Fleetwood Mac, mais aussi Ravel, parmi ses influences.

Lysandre a fait partie du groupe The Loodies, elle a tourné avec Klô Pelgag, mais c’est une tout autre exhibition de sortir un premier album avec son nom et son visage. Or, Lysandre ne ressent pas tant de pression. Elle considère que c’est la somme naturelle de toutes ses expériences, notamment comme actrice et comme soliste qui a multiplié les concours. C’est même plutôt salutaire de s’affirmer comme autrice et compositrice, elle qui a interprété tant de pièces classiques qui datent de centaines d’années. « Prendre parole, ça me fait du bien », dit-elle.

La mémoire

Lysandre ne se voit pas tant comme une chanteuse. Plutôt comme une narratrice au service des mots. Le titre de son album, Sans oublier, a un sens profond.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Lysandre

Je suis obsédée par la mémoire.

Lysandre

Après une commotion cérébrale causée par une fâcheuse chute en 2019, Lysandre a constaté qu’elle peinait à mémoriser certaines pièces, elle qui avait déjà fait un récital en solo de 75 minutes « sans partition » pour terminer son baccalauréat au Conservatoire de musique de Montréal. « Quand tu sais que tu as une bonne mémoire et qu’elle te faillit, c’est épeurant de la perdre. »

Quand elle chante « Où es-tu ? M’entends-tu ? » dans sa chanson La roseraie, Lysandre s’adresse à sa grand-mère Marie-Rose, partie en 2018. « À la fin de la vie, elle a aussi été victime d’une chute qui a affecté sa mémoire, raconte sa petite-fille. Elle ne me reconnaissait plus, mais quand je lui jouais du piano, elle revenait parmi nous. Malgré son aphasie, elle disait : “C’est beau, c’est beau.” Elle chantait aussi des chansons de son enfance. »

Écoutez un extrait de La roseraie, dont l’introduction rappelle Beach House :

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Tous ces évènements ont poussé Lysandre à faire une deuxième maîtrise « plus théorique » en Angleterre (après une première en musique de chambre à la Royal Academy of Music de Londres). « Ma thèse portait sur la mémoire collective en musique. À quel point le cerveau réagit à des pièces. »

Lysandre a même collaboré avec le BRAMS, soit le Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son de l’Université de Montréal, spécialisé dans les recherches centrées sur la « cognition musicale ».

Des femmes du passé et du présent

Il y a de nombreuses autres femmes – d’esprit ou de corps – sur Sans oublier. À commencer par les sœurs de Lysandre qui figurent dans le clip de la pièce-titre avec des images d’archives de leur enfance.

Lysandre consacre deux chansons à des poétesses immortelles, soit Sylvia Plath et Marie Uguay. Sur Plath, Lysandre joue de la guitare – elle a appris récemment à jouer de cet instrument. Elle confie partager avec Sylvia Plath l’impression de se sentir incomprise. Sur Uguay, Lysandre se désole que la poétesse québécoise Marie Uguay soit morte si jeune (à l’âge de 26 ans) et elle rend hommage à son recueil maritime L'outre-vie.

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La féminité de Sans oublier s’illustre aussi avec les brillantes autrices-compositrices de la nouvelle génération que Lysandre a invitées en studio, dont Ariane Roy et Lou-Adriane Cassidy. Leur amitié est née lors d’une résidence commune au festival de Petite-Vallée, à laquelle a aussi participé Anatole (Alexandre Martel, réalisateur de Sans oublier).

Tous sont réunis (avec N Nao, Sam Gougou et Étienne Dupré) dans cette vidéo tournée pour la chanson Tintagel au fameux studio Pantoum, situé à Québec, que Lysandre fréquente régulièrement.

« Toutes les femmes sont des reines », clame Lysandre dans le refrain féerique de Tintagel, nom d’un célèbre château situé en Cornouailles, en Angleterre. Les paroles remettent en question le mythe de Tristan et Iseult unis par un philtre d’amour. Au fond, se désole Lysandre, Iseult n’a jamais consenti à cet amour et même à sa propre vie…

Lysandre souligne qu’elle a écrit et composé son album à l’été 2020 à un moment où elle a constaté que plusieurs femmes de son entourage avaient été victimes d’inconduites sexuelles lors de la vague de dénonciations.

Une période horrible, relate-t-elle en pesant ses mots… avant de conclure : « Toutes ensemble, on peut changer les choses. »

Lysandre donnera deux spectacles de lancement, au Fairmount à Montréal (5 avril) et au Pantoum à Québec (31 mars). Ce vendredi et ce samedi, elle assure la première partie de Half Moon Run à Sainte-Thérèse et à Brossard. Enfin, elle accompagnera ce printemps sur scène (comme musicienne) Klô Pelgag et son amie Helena Deland.