La venue de Michael Tilson Thomas pour diriger l’Orchestre symphonique devait être – avec la venue de Zubin Mehta, qui s’est finalement produit devant une salle vide – un des évènements de l’année musicale montréalaise. Si le concert de mercredi soir aura marqué les esprits, ce ne sera cependant assurément pas pour les raisons escomptées.

Il y avait bien sûr un éléphant dans la pièce : l’annulation de la présence du jeune pianiste Alexander Malofeev en tant que soliste. La nouvelle a fait grand bruit mardi, suscitant des centaines de messages sur les réseaux sociaux, très majoritairement pour dénoncer la décision de l’OSM.

Car Malofeev est russe. Et il ne fait pas bon être russe ces jours-ci, allez savoir pourquoi… Le musicien venait pourtant de jouer le Concerto no 3 de Prokofiev à Buffalo sans encombre, la même œuvre qu’il devait faire entendre pour ses débuts québécois.

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Alexander Malofeev

Il y a, des deux côtés, des arguments assez forts pour soutenir une position ou l’autre. Il reste que les représailles de gouvernements occidentaux – dont le Canada durant la Seconde Guerre mondiale – à l’encontre de ressortissants de pays ennemis ne sont généralement pas vues comme les plus jolies pages de nos manuels d’histoire. Mais passons.

On a remplacé Prokofiev (un compositeur ukrainien, soit dit en passant) par l’Ouverture tragique de Brahms, enlevant donc 10 minutes au concert, qui a quand même été tenu avec un long entracte, après seulement 20 minutes de musique.

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L’orchestre jouant l’Ouverture tragique de Brahms

Quid de Tilson Thomas, ce monstre sacré de la baguette ? C’est un genre, disons… Le chef, âgé de 77 ans, n’a manifestement plus rien à prouver. Il laisse se dérouler la musique avec le moins d’interventions possible. Un modèle d’économie gestuelle. Encore plus un modèle quand on entend le résultat à l’orchestre, qui offre sa sonorité des grands soirs et fait preuve d’une impressionnante cohésion. Oui, mais…

Mais si on aime les flammèches, il vaut mieux rester chez soi. À côté de Tilson Thomas, le cérébral Kent Nagano fait figure de Louis-José Houde de la direction d’orchestre. MTT – pour les intimes – s’écoute beaucoup, savoure chaque note, chaque motif. C’est peut-être l’expérience. Quand on atteint un âge relativement vénérable, on veut peut-être davantage se situer dans le présent, tout en ayant un œil tourné vers le passé, alors que la jeunesse se projette plus en avant.

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Michael Tilson Thomas dirige l’orchestre.

Il n’est pas question de laisser croire que la direction de MTT est inerte. Elle est pleine de vie, mais une vie qui se manifeste plus dans l’impact sonore immédiat, dans la verticalité, que dans le rebondissement de la phrase, dans le choc des phrases entre elles, dans le goût du risque.

Cela marche très bien dans le petit bijou qu’est « Printemps » (des Deux mélodies élégiaques, opus 34), de Grieg, transcription pour cordes d’une mélodie du compositeur. Le côté lyrique de la partition convient parfaitement à la manière qu’a MTT de diriger. Il s’agit assurément du plus beau moment de la soirée.

Cela peut aussi aller à la limite dans l’Ouverture tragique de Brahms, dont le pathos ne dédaigne pas un certain côté statique, même si Brahms n’est pas Wagner…

Mais dans Schubert (la Symphonie no 9), cela fait un peu patate. Trop de chefs dirigent cette œuvre avec des lourdeurs inimaginables. Peut-être parce qu’elle est sous-titrée « Grande »…

Pourquoi tant de révérence dans Schubert ? Le gentil Schubert est aussi l’auteur de l’étincelante Fantaisie Wanderer, de la guillerette Truite. Écoutez Harnoncourt (avec l’Orchestre du Concertgebouw) ou Bernstein (avec New York) dans cette partition : il y a moyen d’y infuser de la sève.

L’allegro initial est tellement lourd qu’on distingue à peine la différence de tempo avec l’Andante qui l’introduit. Le mouvement lent commence étonnamment vite, mais a assez tôt fait de ralentir. Quant aux deux mouvements qui suivent (le Scherzo et le Finale), on a l’impression qu’il y manque une ou deux coches de métronome pour avoir quelque chose de vraiment convaincant. Une soirée décevante, du moins en ce qui nous concerne.

Le concert sera redonné ce jeudi soir ainsi que dimanche après-midi, en plus d’être offert pour visionnement sur le site web de l’OSM du 19 avril au 10 mai.