Après un mois de février tranquille, la salle Bourgie reprenait vie, mardi soir, avec le pianiste Charles Richard-Hamelin, un an après qu’il y eut magistralement joué les Préludes de Chopin. Un récital captivant qui nous a montré une autre facette d’un artiste d’une polyvalence tout à fait époustouflante.

Comme il se produisait cette fois sous l’égide du 3e Festival Palazzetto Bru Zane de Montréal, un organisme européen voué à la diffusion du répertoire français, le musicien avait opté pour Franck, Chausson et Ravel, une association d’une rare intelligence puisqu’elle met face à face les deux principaux courants musicaux français du tournant du XXe siècle : le franckisme et l’impressionnisme.

Cadet de 33 ans de Franck, dont il fut le disciple, Chausson évolue dans la même lignée, même s’il s’ouvre davantage que son maître aux nouvelles couleurs introduites dans les années 1880 par Debussy et d’autres.

Les Quelques danses, opus 26, de Chausson forment un trait d’union idéal entre le Prélude, aria et final de Franck et la Pavane pour une infante défunte et le Tombeau de Couperin de Ravel. Rarement joué, ce cahier constitué de danses comme la sarabande et la forlane n’est évidemment pas sans faire penser au Tombeau de Couperin, qui contient également une forlane et d’autres formes anciennes comme le prélude et fugue et la toccata. Charles Richard-Hamelin en a livré une interprétation attentive, amoureuse même dans la Sarabande. L’éprouvante Forlane finale manquait toutefois un peu de fini.

Là comme dans Franck émergent cependant quelques interrogations de nature stylistique. Celui qui était surnommé par ses élèves le Pater seraphicus était un wagnérien convaincu. Il faut se perdre dans sa musique comme dans les grandes lignes au legato infini dont les opéras de Wagner sont remplis. Le musicologue John Trevitt n’est pas loin de la vérité en parlant de la musique de Franck comme caractérisée par une « lourdeur complaisante » (self-indulgent massiveness). Parler d’une « délicieuse épaisseur » rend à notre avis davantage justice aux beautés sans égales de la musique du Pater.

Qu’on se comprenne bien : Charles Richard-Hamelin offre un Franck habité aux mille couleurs, à chaque moment investi. Il l’insère toutefois davantage dans une tradition plus classique, beethovénienne ou brahmsienne, disons, que wagnérienne, ne savourant qu’à moitié son chant éperdu d’amour. Il n’en est pas autrement dans Chausson.

Après la courte pause, le pianiste passe de l’autre côté du miroir avec l’impressionnisme ravélien, où il est davantage chez lui. La Pavane est toute de simplicité et de rêverie, avec une main droite expertement timbrée et un sens aigu de l’« orchestration » pianistique.

Le Tombeau de Couperin est le sommet du concert. Le Prélude est loin du tourbillon de certaines interprétations, étant plus chuchoté qu’asséné. La Fugue suivante est, pour sa part, éclairée d’une douce opalescence, avec des jeux de résonance presque irréels.

Dans la Forlane, Richard-Hamelin semble improviser, retenant parfois telle note pour bousculer légèrement l’auditeur, un effet qui devient toutefois parfois un peu systématique. La section centrale, avec ses pianissimos intangibles, nous force à tendre l’oreille pour ne rien perdre des coloris ravéliens. Si le Rigaudon manque un brin de folie, le pianiste achève de nous gagner dans le Menuet et la Toccata finale.

En rappel, le musicien a offert au public enthousiaste sa propre transcription du dernier mouvement de Ma mère l’Oye de Ravel en hommage aux victimes de l’invasion russe en Ukraine, puis un Prélude no 3 de Chopin absolument hors du temps.

Le concert est repris ce jeudi à 19 h 30.