(Paris) La Franco-Américaine Joséphine Baker est devenue mardi la première femme noire à entrer au Panthéon, « temple laïc de la République » française et dernière demeure des grandes figures françaises un hommage à sa vie « incroyable » d’artiste de music-hall, résistante et militante antiraciste.

Son cénotaphe (tombeau ne contenant pas le corps), porté par des aviateurs, est entré au Panthéon devant 8000 spectateurs, selon le palais de l’Élysée, avant d’être installé dans un des caveaux de la crypte.

La dépouille de l’artiste demeurera au cimetière marin de Monaco, non loin de la tombe de la princesse Grace qui l’avait soutenue dans les dernières années de sa vie.

Sous l’œil attentif et ému de neuf de ses enfants, de nombreux politiques, artistes et citoyens, l’icône des années folles, née en 1906 aux États-Unis avant d’adopter la nationalité française, est devenue ainsi la sixième femme sur 80 personnages illustres à être accueillie dans cet édifice néo-classique au cœur de Paris, et dont le fronton proclame « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ».

« Ma France, c’est Joséphine », a lancé le président français Emmanuel Macron, qui a salué une « héroïne de guerre, combattante, danseuse, chanteuse », une « noire défendant les noirs mais d’abord, une femme défendant le genre humain ».

Son fils Brian Bouillon Baker a dit voir un « signe d’espoir et un message pour les jeunes générations ». « J’espère que ses messages de tolérance et d’ouverture aux autres seront entendus par les Français », a renchéri Marianne Zinzer, l’une de ses filles. « Son Panthéon était : amour, compréhension et tolérance. »

Sur la façade de l’édifice laïc, des images de sa vie ont été diffusées, sous des applaudissements nourris du public qui a entendu, une nouvelle fois, retentir la voix de l’artiste se présentant comme « une personne adoptée par la France ». Et quand un journaliste de l’époque lui demande pourquoi avoir fait le choix de la Résistance contre l’occupation nazie, Mme Baker répond sobrement : « Pour défendre la personne », « la dignité humaine ».

Son entrée au Panthéon intervient 46 ans après sa mort, le 12 avril 1975 à l’âge de 68 ans, trois jours après avoir fêté ses noces d’or sur la scène. Elle rejoint ainsi les « panthéonisés » français, pour la plupart hommes d’État, héros de guerre ou écrivains : Victor Hugo, Émile Zola, le résistant Jean Moulin, Marie Curie…

Le cénotaphe, couvert du drapeau français, restera toute la nuit dans la nef du Panthéon. Mercredi, au cours d’une cérémonie familiale, il sera installé dans le caveau 13 de la crypte, où se trouve déjà l’écrivain Maurice Genevoix.

Contre-espionnage

PHOTO SARAH MEYSSONNIER, AGENCE FRANCE-PRESSE

Son cénotaphe, porté par des aviateurs, est entré au Panthéon devant 8000 spectateurs, selon le palais de l’Élysée, avant d’être installé dans un des caveaux de la crypte.

Née dans la misère aux États-Unis, la jeune femme fuit la ségrégation et s’installe en France. Elle ravit le Tout-Paris en dansant le Charleston, seins nus, dans un déchaînement de batterie-jazz. Au cabaret des Folies Bergère, la « Vénus d’ébène » se joue des fantasmes coloniaux en se produisant vêtue d’une simple ceinture de bananes, aux côtés d’une panthère vivante.

La première chanson qu’elle interprète, J’ai deux amours, mon pays et Paris, en 1930 au Casino de Paris, la consacre. 

Naturalisée française en 1937 à la faveur d’un mariage avec un industriel juif, la vedette met son talent musical à contribution dès les premiers mois du conflit pour divertir les soldats français sur le front. Et profite des réceptions auxquelles elle est conviée dans les ambassades et les pays étrangers pour recueillir du renseignement.

« C’est la France qui m’a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle », fait-elle valoir en acceptant de servir le contre-espionnage des Forces françaises libres. Elle transmet à Londres des rapports cachés à l’encre sympathique dans ses partitions, ce qui lui vaudra la médaille de la Résistance et la Croix de guerre.

Engagée en Afrique du Nord dans l’armée de l’Air, Joséphine Baker débarque à Marseille en octobre 1944. En mai 1945, elle se produira en Allemagne devant des déportés libérés des camps.

« Notre mère a servi le pays, elle est un exemple des valeurs républicaines et humanistes », mais « elle a toujours dit : “Moi je n’ai fait que ce qui était normal” », a expliqué l’AFP son fils aîné, Akio Bouillon.

Tout le reste de sa vie, elle se bat contre les discriminations. Avec son quatrième époux, elle devient mère d’une « tribu arc-en-ciel » de 12 enfants adoptés aux quatre coins du monde, qu’elle élève dans son château en Dordogne.

En 1963, à Washington, elle s’exprima après Martin Luther King et son fameux « I have a dream ». Cette marche pour les droits civiques des Noirs américains fut le « plus beau jour de sa vie », confiait la vedette.