La voix riche et mélancolique de La Zarra rappelle à certains la tessiture vocale d’Édith Piaf. Sa musique est un amalgame étonnant de hip-hop et de chanson française. Le public entend parler d’elle depuis quelques années, sans trop la connaître. Se drapant volontairement de mystère, la chanteuse québécoise, dont les vidéoclips ont été vus des millions de fois dans le monde, lance le 3 décembre son premier album, Traîtrise.

La Zarra, c’est le nom d’artiste de Fatima-Zhara Hafdi. Ou plutôt l’alter ego qui lui permet d’assumer ce qu’elle a refoulé durant des années. « C’est une extension de moi qui se libère avec l’art », a-t-elle expliqué lors d’une entrevue réalisée plus tôt cet automne au Ritz-Carlton. « C’est la chanteuse, la créativité et tous les aspects de ma personnalité que je me donne le droit de pousser davantage : mon côté comique, un peu noir et narcissique, légèrement dominateur. »

En effet, elle s’amuse à jouer à la diva en se donnant des airs d’actrice des années 1940 et 1950. Une image très loin de la femme un brin timide, mais assurément sympathique, qui enchaîne les entrevues dans une chambre d’hôtel luxueuse. « Quand je rencontre des gens, ils s’attendent à ce que je sois comme dans mes vidéoclips, mais ils sont pas mal déçus », raconte l’artiste qui tait son âge.

Une simplicité et une humilité se dégagent de la chanteuse, qui a longtemps été persuadée de ne jamais pouvoir faire carrière. Jusqu’à ce qu’elle croise le chemin du producteur Benny Adam, en 2016.

On était dans une soirée, un peu bourrés. Il a commencé à jouer au piano Pour que tu m’aimes encore, de Céline Dion. Je me suis mise à chanter. Il m’a dit de passer en studio le lendemain.

La Zarra

Après une collaboration fructueuse sur quelques chansons, une pause de presque quatre ans a suivi. « Puis, j’ai eu l’élan de produire un EP à l’été 2019. » Lasse d’expliquer aux inconnus qu’elle travaillait comme coiffeuse, mais qu’elle chantait aussi, elle a choisi d’être proactive. « J’avais une espèce de flamme à l’intérieur qui voulait juste exploser ! »

Une mélancolie qui groove

Les chansons de son premier album sont pratiquement toutes teintées d’une mélancolie assumée. « Quand j’ai un élan créatif, j’entre dans une période de transe durant laquelle je revisite plusieurs émotions étouffées. Je n’ai aucun mal à comprendre la musique de Piaf et de Barbara, même si elles m’amènent dans un monde que je n’ai jamais connu. Quelque chose en moi arrive à les ressentir. »

N’allez toutefois pas croire que La Zarra se montre entièrement vulnérable dans ses chansons. « J’écris sans vouloir trop en dire, sinon je n’aurai plus rien à raconter après. Je suis trop pudique pour me dévoiler au complet. »

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Elle se montre également très discrète sur ses origines, lorsqu’on évoque les accents arabophones qui teintent sa musique. « Avec mon nom, on comprend que je viens d’Afrique du Nord, mais même si je venais d’ailleurs, j’aurais été attirée par la musique orientale et cette symbiose entre la voix et la musique. »

Quand on lui fait remarquer que les interprètes québéco-arabes sont peu nombreux, elle répond qu’elle ne veut pas être un modèle pour une frange de la population en particulier.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Moi, c’est La Zarra, je fais de la musique et la voici. Je veux que des personnes de toutes les ethnies, de tous les genres et de toutes les orientations sexuelles puissent écouter ma musique, s’y retrouver et chanter ensemble, mais pas parce que je viens de telle place en Afrique.

La Zarra

Elle se tient loin des discussions politiques. « On ne va pas se mentir : les Arabes ne sont pas très populaires en ce moment. Quand j’entends les discours de certaines personnes à la télé, je me dis que je n’ai pas envie d’entrer là-dedans. Je le ferai peut-être plus tard quand je serai un peu plus établie. »

Elle n’a toutefois aucun mal à expliquer pourquoi elle chante en français, et non en anglais ou en arabe. « En anglais, tout peut bien sonner et rimer plus facilement, mais le français est tellement plus riche. C’est plus complexe de créer un texte minimaliste, sans être puéril, avec des images fortes. J’aime le défi. »

Sa création francophone est d’ailleurs un beau pied de nez à ses années au secondaire. « J’étais nulle en français, s’exclame-t-elle en faisant rigoler sa fille adolescente, assise en retrait dans la chambre. Mes profs me détestaient. Je n’étais pas l’élève la plus modèle. Aujourd’hui, ma chanson Printemps blanc est étudiée dans un collège. C’est une belle revanche ! »

Les défis ne font pas peur à La Zarra. Celle qui était finaliste au prix de Révélation francophone de l’année au gala NRJ Awards, qui a couronné le rappeur marseillais Naps le 20 novembre dernier, s’apprête à faire ses premiers pas sur scène. « Je vais bientôt me produire deux fois devant 10 000 personnes avec de gros artistes. J’ai zéro expérience sur scène, alors ça passe ou ça casse ! »

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