Jim Corcoran a réalisé le nouvel album de Gilles Vigneault, un honneur pour lequel il voulait se montrer à la hauteur. Il nous a parlé de cette expérience unique.

C’était émouvant de travailler sur ce projet ?

C’est chargé d’émotion, c’est sûr. C’est émouvant de beauté, touchant par une sorte de transparence. Au premier contact, Gilles m’a juste récité ses textes. Je n’avais pas encore entendu la musique et j’étais déjà saisi. Mon attachement au projet, c’est d’abord et avant tout ses mots.

Vous aviez conscience d’avoir quelque chose de précieux entre les mains ?

Au début, je lui ai demandé : « Mais pourquoi moi ? » Il a dit : « Je veux aller ailleurs. » J’étais légèrement intimidé à l’idée de participer à ce disque, et d’essayer de voir ce qu’il voulait dire par « aller ailleurs ».

C’est vrai que c’est vaste.

Vaste et attrayant, mais il fallait faire attention. Je ne voulais pas m’éloigner de Gilles au nom du mot « ailleurs ». Et ce qu’on a trouvé, avec le temps et beaucoup de travail avec lui, parce qu’il était tellement vaillant et travaillant, est plus près de l’origine, plus près de Gilles que jamais. Je voulais que ce disque soit à la fine pointe de la technologie et j’ai vu que j’avais l’équipe avec moi. Claude Champagne, le technicien, un ami de longue date de Gilles, qui a assuré la qualité sonore. Julie Thériault, qui signe les arrangements. Il n’y a rien d’ostentatoire ou de grandiose, c’est touchant du début à la fin. Une élégance…

On dirait que sa voix est plus fragile.

J’ai réalisé qu’il n’avait pas chanté depuis un bout, alors j’ai suggéré que Monique Fauteux l’aide à la réchauffer. Il disait : « Non, non, c’est trop tard, je n’ai jamais eu une belle voix… » Je lui ai dit : « Je ne veux pas la changer, je veux juste l’entraîner ! » Monique lui faisait faire des vocalises par Zoom, et chaque jour d’enregistrement, il commençait par 20 minutes d’échauffement. C’est ce qui fait que sa voix demeure si belle. C’est celle qu’il a maintenant, qu’il possède pleinement. C’est pour ça que c’est touchant aussi. Parce que c’est une sagesse, c’est assumé.

C’est très impressionnant à entendre.

Moi, j’avais des frissons. Le privilège que j’avais ! Le journaliste qui peut passer quelques heures avec lui se sent privilégié… moi, j’ai passé 15 mois ! Des fois on travaillait, on répétait, on discutait, je voyais qu’il était épuisé… et là, il se mettait à raconter des histoires. Je me disais : Corcoran, t’es chanceux, tsé.

Ce sont des arrangements très contemporains que vous avez faits.

Je n’aurais pas voulu que ce soit autrement. Il fallait que ça sonne comme les meilleurs disques d’aujourd’hui, parce que Gilles le mérite, et qu’on avait l’équipe pour le faire. Il n’y a rien de vieillot. Jamais il n’y a eu d’hésitation de sa part, il voulait avancer. Mais il y avait toujours une discussion. Des fois, je faisais des propositions et il disait : « Pas sûr. » C’était un work in progress et, ultimement, c’est lui qui décidait. Mais il était bien plus disponible que je pensais qu’il allait l’être.

Il vous a fait confiance.

Oui. Et il a fait preuve d’audace ! D’habitude, ses disques, c’est piano-voix. Là, il y a des chansons avec de la harpe, du hautbois, un quatuor à cordes… C’est très dénudé, jamais il n’est enterré, jamais ce n’est gonflé. Ce sont les mots, les intentions, les sentiments de Gilles qui sont soutenus. Avec Claude, on s’est assurés qu’il n’y ait pas un mot qu’on manque.

Un jour, allez-vous vous pincer en vous disant : « j’ai fait ça dans ma vie » ?

Dans ma carrière, on m’a proposé des choses extraordinaires. Il y a 30 ans, Nelligan. Il y a quelques années, Miron. Et là, Vigneault m’appelle ? Je remercie le cosmos. Je n’ai pas couru après ça, mais ça m’oblige à être à la hauteur de ce qu’on me confie. Et il me confiait beaucoup, ses textes et ses chansons, il ne fallait pas les gâcher ! Je suis très, très fier… et j’essaie de contenir mes superlatifs.

Avoir une telle ouverture à 93 ans, c’est fascinant.

C’est très inspirant. Je me dis : mais qu’est-ce que je vais faire dans 20 ans, moi ? Gilles, c’est un phénomène. En mars, on avait placé des dates pour enregistrer des voix. Et puis, il m’appelle et il me dit : « Jim, je ne peux pas chanter cette semaine. » Je me dis : oh boy, il y a un problème… « Les sucres ont commencé. Il faut que je fasse les sucres. » Je l’aurais serré dans mes bras. Ça, c’est la vie, ça, c’est ailleurs. Il est ailleurs, Gilles. Et il fallait l’accompagner pour que l’ailleurs qu’on propose soit aussi beau que l’ailleurs qui existe déjà en lui.