La musique classique est désormais disparue du kit des valeurs transmises dans les familles bourgeoises, ce qui ne me fait pas pleurer, considérant l’étiquette que ça lui collait. Cependant, cette musique extraordinaire est encore enseignée à haut niveau presque gratuitement jusqu’au collégial, dans le réseau des conservatoires, ce qui est loin d’être le cas pour le ski alpin ou le tennis d’élite.

Mais les jeunes formés au Conservatoire ne peuvent pas remplir les salles de concert.

Longtemps, en y voyant surtout des têtes blanches, j’ai cru que le monde de la musique classique vivait ses dernières années. Puis j’ai réalisé qu’on voyait les têtes blanches… se renouveler : les adultes arrivent plus tard à la musique classique, mais un certain pourcentage de la population continue d’y arriver, à chaque génération.

Et si l’univers numérique pouvait contribuer à piquer la curiosité d’un public plus jeune ? Récemment, un comptable dans la vingtaine, abonné au gym et à la pop, me glisse qu’il a commencé à écouter du Mahler au travail.

C’est en furetant sur l’outil de recherche d’une plateforme qu’il est tombé sur cette musique, dont l’orchestration lui rappelle les partitions de films qu’il aime.

En voyant cette vidéo sur TikTok, une jeune adulte de mon entourage demande à son père, fascinée : « C’est quoi, cette musique ? »

Même Les quatre saisons de Vivaldi peuvent encore faire de nouveaux adeptes !

Ce sont là des exemples anecdotiques. Ce qui l’est moins, c’est une étude britannique de 2020 qui révèle que les 18-25 ans représentent maintenant le tiers des auditeurs de musique classique en ligne.

Lisez l’étude

Il y a aussi le phénomène des vidéos de réaction, music reaction, omniprésent depuis des années. Le classique s’y faufile parfois, marquant peut-être quelques gains dans un auditoire plus jeune : les yeux stupéfaits sous une casquette, la mâchoire décrochée en écoutant une ballade de Chopin, ça ne s’achète pas.

Ces vidéos remplacent ou prolongent ce qu’on vivait dans un sous-sol, en découvrant un nouveau disque : les réactions des amis créent une empreinte émotive autour d’une musique. Le sous-sol peut maintenant rassembler un million et demi d’amis, qui découvrent Pavarotti grâce à deux hip hop heads (les jumeaux Tim et Ted Williams).

Avec les mots clés First time listening to Luciano Pavarotti, vous tomberez vite sur plus de 250 000 expériences du genre : chacun y trouvera une voie de transmission à laquelle s’identifier.

Catherine Gentilcore, directrice du marketing à l’Opéra de Montréal, est convaincue que le monde numérique a le potentiel pour rallier un public plus jeune. Si l’opéra a une majorité d’abonnés assez âgés, les jeunes adultes forment le groupe suivant en importance. « Entre les deux, on perd des abonnés : les jeunes enfants sont souvent un frein à une sortie comme l’opéra, longue et assez coûteuse, si on ajoute les frais de garde. » Renouveler ce bassin de jeunes spectateurs est donc primordial, et la compagnie ne manque pas d’imagination. « Cet automne, on sort à nouveau notre meilleur atout : les chanteurs de l’Atelier lyrique », me dit Catherine Gentilcore. « Ils sont dix, âgés de 22 à 27 ans, passionnés, drôles, flamboyants, et on va les faire connaître au public dans les prochaines semaines, par l’entremise des réseaux sociaux. »

Concert de fin de saison de l’Atelier lyrique, Théâtre Maisonneuve, le 18 mai 2021. Donizetti, L’elisir d’amore : Quanto amore. Lucie St-Martin, soprano, Jean-Philippe Mc Clish, baryton-basse, Holly Kroeker, piano.

Ce tremplin de perfectionnement professionnel affilié à l’Opéra, renouvelé tous les deux ans, permet de multiplier les projets dans des lieux différents : Espace Go, le Centaur ou le Monument-National.

« C’est étonnant, mais certains sont intimidés par la grande salle Wilfrid-Pelletier, se demandent si leur présence y sera légitime, s’ils connaissent assez les codes. »

Pour ceux-là, la glace sera brisée le 21 novembre : « La compilation » est un programme d’airs d’opéras célèbres, par les stars de demain, offert à 15 $ pour les 34 ans et moins. « Pas seulement dans une section éloignée, précise Catherine Gentilcore, partout dans la salle ! »

Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans cet élan vers l’opéra ?

« Facebook est assurément efficace avec la publicité payée. Mais l’élan actuel, on le voit sur TikTok : on va d’ailleurs offrir une formation spécifique aux membres de l’Atelier lyrique, avec Delphine Poux, une ancienne de Vice Québec. TikTok fonctionne moins bien avec les comptes de compagnies qu’à l’échelle individuelle. Certaines jeunes stars d’opéra ont beaucoup de succès, avec leur voix, leur personnalité, leur humour, et souvent de l’autodérision. »

Consultez le compte TikTok de la soprano Alex Nowakowski

Est-ce à dire que la pression au following, qui tend à devenir un critère d’embauche chez les mannequins et les acteurs, va maintenant s’imposer aux chanteurs d’opéra ? « On voit venir cette tendance, souligne Catherine Gentilcore. Leur personnalité publique va faire partie de l’équation : c’est à la fois intéressant et délicat. »

On a régulièrement tenté d’utiliser la musique classique pour faire fuir les jeunes de lieux publics où on les jugeait indésirables. Un article de France Musique rapportait, en 2017, que cette technique avait été testée dans des gares à Londres, Copenhague, en Suisse, aux États-Unis… et au Canada. La police de Londres avait d’ailleurs mesuré une baisse de plus de 30 % du vandalisme et des vols.

On les fait fuir, ou on change leur disposition d’esprit ?

Écoutez la compilation de l’Opéra de Montréal

Une version antérieure de ce texte présentait le youtubeur qui découvre Chopin comme étant Krystian Zimmerman. C'est une erreur. Krystian Zimmerman est le pianiste qui interprétait la pièce en question.