Reportée d’un an à cause de la pandémie de COVID-19, la création de la version lyrique du roman plusieurs fois primé L’orangeraie de Larry Tremblay par la compagnie Chants Libres a finalement eu lieu mardi soir au Monument-National.

Les spectateurs ont d’abord eu à subir l’impréparation du lieu de diffusion en matière d’accueil d’un public en contexte pandémique. La file pour entrer, qui s’étirait sur une cinquantaine de mètres, avançait par conséquent à pas de tortue, retardant ainsi le début du spectacle de 17 minutes.

L’attente a-t-elle néanmoins valu la peine ? Oui pour les admirateurs de l’univers de Larry Tremblay et les aficionados de la musique contemporaine. Moins pour ceux qui carburent à l’opéra traditionnel, qui trouveront la partition passablement aride.

Rappelons le cœur de l’intrigue : dans un pays du Proche-Orient où sévit la guerre civile, des parents sont forcés de choisir lequel de leurs deux jumeaux ils vont sacrifier pour l’envoyer en mission suicide chez l’ennemi. Au menu : dilemme cornélien, culpabilité dévorante et exil.

Avec Chants Libres et le Nouvel Ensemble Moderne dans la fosse, il ne fallait évidemment pas s’attendre à une partition de style « néo-tonal » destinée à charmer l’oreille.

Le compositeur retenu par la compagnie, le Libanais Zad Moultaka, un habitué de l’IRCAM et d’autres lieux de création d’avant-garde, livre une musique sans concession, souvent très dissonante et touffue.

On se croirait tantôt dans Wozzeck, de Berg, tantôt dans Oedipus Rex, de Stravinsky, tantôt chez Ligeti. Les textures orchestrales sont riches, trop peut-être. Les nombreux ostinatos rythmiques aux percussions ou aux cuivres sont à peu près la seule chose à laquelle l’oreille de l’auditeur peut se raccrocher.

Heureusement, le compositeur ménage certains moments de répit où l’orchestration se fait plus aérée, un minimum d’instruments accompagnant alors les voix sur des notes tenues. Certains effets aux chœurs, notamment le chœur enregistré du tout début, sont en outre du plus bel effet.

Mise en scène économe

En ce qui concerne les parties solistes, on a affaire à une sorte de récitatif continu relativement simple, mais souvent passablement exigeant pour certains. La soprano Nathalie Paulin (la mère), le baryton Dion Mazerolle (Soulayed), la mezzo-soprano Stéphanie Pothier (la grand-mère) et, bien sûr, l’émouvant contre-ténor Nicholas Burns dans le rôle principal d’Amed, dominent le plateau. Ce dernier, originaire de Colombie-Britannique, est toutefois moins convaincant dans les passages parlés, le français n’étant pas son point fort.

La mise en scène de Pauline Vaillancourt (sœur de Lorraine, qui a dirigé l’orchestre avec une main de fer pendant les 90 minutes du spectacle) est assez économe, se mouvant dans un espace scénique qui l’était tout autant. Du côté jardin : une sorte de carré entouré de cloisons et de caisses en bois évoquant les ruines de la maison des grands-parents, détruite par une bombe ennemie. Pour le reste : des projections évoquant le cadre naturel du récit (arbres, montagne, etc.).

La transition entre la première et la deuxième partie de l’opéra est un des plus beaux moments de la soirée. Les étoiles constellant le ciel du Levant deviennent des flocons de neige qui se mettent à tourbillonner dans l’espace, montrant qu’Amed ne vit plus au Proche-Orient, mais bien à Montréal.

Le livret, réalisé par Larry Tremblay lui-même, va à l’essentiel, en confiant la description de certaines scènes à des solistes. Il est bien sûr plus difficile de croire à la gémellité d’Amed et Aziz sur scène que dans le roman, même si ceux-ci sont vêtus de la même façon et sont à peu près de la même grandeur, mais il s’agit d’un problème récurrent au théâtre… Le professeur de théâtre devient également ici un réalisateur de cinéma, un rôle joué — et parfois chanté — avec justesse par l’acteur Jean Maheux.

L’orangeraie est présenté ce jeudi au Monument-National et les 5 et 6 novembre au Diamant à Québec.