Impossible à aimer aurait pu être impossible à… enregistrer, après que Cœur de pirate eut subi une opération aux cordes vocales, en mars dernier. « Je ne savais pas si j’allais pouvoir rechanter un jour », confie Béatrice Martin, lors d’une entrevue réalisée au Bar à flot, avenue du Parc, à la fin du mois de septembre. « Si tu ne guéris pas bien, il y a toujours un risque. J’étais vraiment stressée. »

Plus de peur que de mal. La voilà devant nous en chair, en os et en voix pour présenter son sixième album studio, six mois après avoir fait paraître les météores pianistiques de Perséides, au printemps dernier.

Dans les deux dernières années, Cœur de pirate a parcouru son CV amoureux pour en extraire 10 chansons, comme autant de pages arrachées à un journal intime. Le titre, Impossible à aimer, renvoie à un « commentaire généralisé » adressé à l’autrice-compositrice-interprète de 32 ans.

« Je me suis replongée dans la couverture médiatique qu’on a faite sur moi, et ça ressemblait tout le temps : “Après des années tumultueuses, Cœur de pirate retrouve l’amour.” Si j’avais été un gars, jamais on ne m’aurait réservé ce traitement-là. C’était un clin d’œil à ça, à l’idée de reprendre le contrôle sur ce que les gens ont pu dire. »

La chanteuse raconte que l’album, en grande partie créé dans la frugalité du confinement, avait d’abord un fort penchant folk-country. Le temps d’arrêt imposé par la pandémie de COVID-19 – et par son polype hémorragique aux cordes vocales – lui a fait emprunter une autre voie.

« Quand j’ai eu le go pour rechanter, je suis retournée en studio, mais j’étais déjà rendue ailleurs dans mon cheminement musical. Il y avait une toune, On s’aimera toujours, qui avait une tangente plus disco. Je me suis dit : “Ça serait cave qu’on ne fasse pas plus de tounes ancrées dans la chanson française des années 1970.” L’album est vraiment là. »

Dans la maison familiale, Béatrice Martin raconte avoir été biberonnée aux Gipsy Kings, Prince, Cat Stevens, Joe Dassin et Michel Polnareff. « La chanson française, à cette époque-là, va un peu partout, fait-elle remarquer. Elle s’inspirait beaucoup de la culture américaine. Si tu écoutes Polnareff, c’est super prog par moments, mélangé avec du disco. »

Douce revanche

Pour parcourir ses deuils amoureux le pied léger, Cœur de pirate a réquisitionné l’épaule du coréalisateur Renaud Bastien, multi-instrumentiste qui l’accompagne depuis ses débuts. Elle l’écrit dans le livret et le répète en entrevue : « Je n’aurais pas la carrière que j’ai aujourd’hui s’il n’avait pas été là. »

Ont tout de même subsisté quelques ballades, comme Tu ne seras jamais là (avec Alexandra Stréliski), Le monopole de la douleur ou Une chanson brisée, pièce baveuse – « sassy », dixit son autrice –, qui nous transporte 10 ans en arrière, à l’époque de Blonde.

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« C’est un gars qui m’a demandé : “Si je te fais du mal, vas-tu écrire une chanson sur moi ?” J’ai fait : “Bah, je ne vais pas te donner ma meilleure toune, je ne vais pas te donner ma plus poche. Ça va être exactement ce que les gens attendent de moi.” »

Béatrice Martin présente ses chansons d’amours déçus ou déchus comme des exutoires, « une façon de faire une thérapie et de tourner la page », entre pieds de nez, doux souvenirs et rancœur assumée. « Je n’ai pas été très chanceuse dans la vie : les fois où j’ai cassé avec du monde, ça s’est très, très mal passé », avoue-t-elle.

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« Tu peux crever là-bas, c’est dur, mais c’est mieux comme ça », va-t-elle jusqu’à adresser à un infidèle « au ventre lourd » et qui « ne bandait plus ».

Il y a un mélange de désinvolture et d’orgueil, ce côté un peu chien que j’avais à l’époque et qui ressort. J’avais 20 ans et j’étais fâchée. Ce sont des sentiments qui devaient peut-être réapparaître dans la trentaine.

Cœur de pirate

Depuis environ un an, c’est avec un certain Marc Flynn que la jeune femme construit le futur, comme en témoigne son ventre arrondi. Un « side project prévu pour la fin janvier », a annoncé en août dernier la maman de Romy, 9 ans, fruit d’une union avec le tatoueur Alex Peyrat.

Si la relation actuelle de Béatrice Martin passe presque inaperçue, c’était tout l’inverse lorsqu’elle était aux bras de Laura Jane Grace, musicienne américaine transgenre. Un passage « rough » qu’elle met en lumière dans une rarissime chanson pop sur l’amour queer. « Pourrais-je la voir sourire, dans un monde comme le mien ? », demande-t-elle sur Dans l’obscurité.

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« Je ne comprenais pas que ce qui était censé être de l’amour naturel soit autant jugé, commente Cœur de pirate. Ça m’a fait très mal, mais je suis contente de l’avoir vécu. Je crois que des gens se sont remis en question quant à leur manière d’aborder le sujet, à l’utilisation de certains termes. »

« Un certain privilège »

Dans ses chansons, sur les réseaux sociaux ou dans les médias, Béatrice Martin se dévoile sans filtre, une manière de contrôler le message et d’ouvrir des portes.

« Parler de moi, ce n’est pas un exercice que je trouve facile à faire, dit-elle. Par contre, quand tu as une plateforme et un certain privilège dans la vie, c’est important de parler des choses qui peuvent faire avancer la société. Si tu ne le fais pas, c’est du gaspillage. »

Le revers de la médaille ? Chaque citation peut devenir une manchette dans un magazine ou un site à potins. « J’ai unlocké un autre niveau, s’amuse-t-elle. Tu peux parler de tout et de n’importe quoi avec un sens de l’humour. Les gens ne savent plus si ce que tu dis est vrai ou non. Avec le clickbait [piège à clics], c’était rendu vraiment rushant. Honnêtement, c’est drôle et j’en ris, aujourd’hui. »

Pas de fake news ici : dans les prochaines semaines, Cœur de pirate défendra le matériel d’Impossible à aimer en concert, d’abord au Québec, puis en Ontario et en Europe. « En France, je fais encore des grosses salles, je suis chanceuse, mais je ne suis plus “the hot new thing”, observe la chanteuse. C’est ben correct. »

Béatrice Martin doit désormais conjuguer ses voyages de tournée à ses fonctions de présidente de la maison de disques Bravo musique, anciennement Dare to Care Records. « J’ai une équipe incroyable, en qui j’ai vraiment confiance et qui me permet de continuer à faire mon métier », se réjouit-elle.

La femme d’affaires et mentore a récemment recruté les jeunes talents Naomi et Thaïs. Béatrice Martin souhaite leur donner, à elles et aux autres, l’accompagnement qu’elle aurait elle-même voulu recevoir en début de carrière. Question de ne jamais se croire « impossible à aimer »…

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