Il trône au sommet du « prestigieux et polémique » classement mondial 2020 du magazine britannique DJ Mag, possède le titre du Français le plus suivi sur YouTube grâce à des clips milliardaires et suscite la convoitise des superstars de la pop. David Guetta, toujours sur le plus haut podium de la scène électro à 53 ans, attire tant les éloges que les critiques. Discussion par Zoom avec un vieux routier qui ne choisit pas toujours l’autoroute.

T-shirt blanc uni, cheveux courts en bataille, barbe rousse de trois jours : David Guetta apparaît sur Zoom avec un calme contagieux. En toile de fond, sa luxueuse résidence estivale d’Ibiza, île espagnole cernée de plages et de fêtes nocturnes.

Le DJ et compositeur y a installé ses soirées électroniques F* * * Me I’m Famous au tournant des années 2000, après avoir usé ses platines pendant deux décennies dans les clubs parisiens, petits ou grands, au cœur de la French touch, naguère synonyme du courant house hexagonal.

« Normalement, je suis toujours tourné vers l’avenir, mais là, il se trouve qu’on fête les 20 ans de Just a Little More Love, qui a été mon premier succès, raconte posément David Guetta. Mon équipe a retrouvé des images d’archives où j’étais en train de jouer ce disque pour la première fois. De me voir, il y a 20 ans, alors que j’étais tout timide, que je regardais les platines, que je n’osais pas regarder les gens… C’est incroyable ! Je me dis : “Wow, c’est dingue.” Jamais je n’aurais imaginé que ça me porte aussi loin. C’est fou. »

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Malgré son statut de notable et de multimillionnaire — il a récemment vendu les droits de son catalogue à Warner Music pour la coquette somme de 125 millions –, le producteur français de 53 ans refuse de s’endormir. Au contraire, la pandémie de COVID-19 l’a réveillé. « Je suis un hyperactif et j’ai commencé à faire de la musique tous les jours, tous les jours. » Ses admirateurs et lui en récoltent maintenant les fruits, sous la forme de singles.

PHOTO FOURNIE PAR WARNER MUSIC

David Guetta

La plus récente sortie ? If You Really Love Me (How Will I Know), une collaboration vitaminée avec deux Britanniques en vogue. « Le chanteur John Newman m’a envoyé quelques démos piano-voix, dont une qu’il avait enregistrée avec le DJ MistaJam, et j’ai vraiment adoré le titre. Je l’ai produite dès que je l’ai reçue. »

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La pièce (et la parenthèse de son titre) se veut bien sûr un hommage au tube de Whitney Houston, diva disparue en 2012. « J’étais un énorme fan de Whitney Houston. J’ai grandi avec elle et Michael Jackson. C’est une époque pour moi qui était incroyable, parce que c’était un mélange de chansons soulful, de pop et de dance music ; parce que, oui, c’en était déjà. »

Des millions contre la COVID-19

Dans un contexte délétère, David Guetta explique avoir voulu s’accrocher à des airs légers et fédérateurs, portés entre autres par Sia (Let’s Love) et Akon (Shine Your Light). Selon lui, la crise de la COVID-19 changera le visage de la scène électro. Ou plutôt les visages…

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« Certains acteurs de la scène ont un peu disparu, et moi, au contraire, j’étais beaucoup plus actif. C’est aussi le cas de Tiësto, qui a eu un tube énorme avec The Business. Ça montre aussi notre passion. Ce n’est pas une histoire d’avoir du succès pour gagner plus d’argent et pour faire des concerts. Je veux être là pour les fans dans tous les moments, dans les bons comme dans les difficiles. »

Pour continuer à toucher son public, mais aussi pour récolter des fonds pour des organismes impliqués dans la lutte contre le coronavirus, l’influent DJ a mis sur pied la série de concerts virtuels United at Home. David Guetta s’est notamment produit devant le Louvre, à Paris, sur l’héliport de l’hôtel « sept étoiles » Burj Al Arab, à Dubaï, et sur la plateforme d’observation du Top of the Rock, à New York, où son hommage musical — et dansant — à George Floyd a été vivement critiqué.

PHOTO STÉPHANE DE SAKUTIN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

David Guetta en concert virtuel devant le Louvre, à Paris, le 29 décembre dernier

Ces scènes grandioses, surréalistes lorsque mises en parallèle avec les hôpitaux submergés, ont tout de même généré plus de 100 millions de visionnements et 2,5 millions de dollars. « J’ai toujours voulu faire un peu plus pour aider des gens, mais je suis tellement occupé dans ma vie normale, que je n’ai jamais pu vraiment y consacrer du temps. C’était l’occasion. »

Son fils âgé de 17 ans, Elvis, a vite suivi les traces du philanthrope. L’aîné de deux enfants a lancé United for Football, organisme de soutien aux enfants défavorisés par la voie du ballon rond. « Je lui ai parlé hier. Il est au Sénégal avec des coachs de football professionnels et de l’équipement. Je trouve que c’est une démarche super. »

Des doubles à l’ombre

Même si David Guetta mène une carrière faste dans l’œil du public, il n’a jamais oublié ses premières amours et le goût du risque. Le producteur et son complice Morten ont inventé en 2019 le « future rave », un courant EDM composé de synthés technos, de house underground et de puissantes pistes vocales. Les émules se multiplient.

Écoutez un mix de future rave, de David Guetta et Morten

« L’idée n’était pas du tout de faire des hits pour les radios, mais vraiment de faire de la musique pour les DJ, pour les festivals. Ç’a été super bien accueilli. C’est devenu un mouvement dans la musique électronique. Ç’a été une grande source de bonheur pour moi. »

Le producteur de Love Is Gone, Hey Mama, Titanium et Sexy Chick fuit aussi les projecteurs aveuglants grâce à son projet confidentiel Jack Back, alias qui le ramène à ses racines parisiennes dans les années 1980 et 1990.

Quand je m’amuse, les gens s’amusent. Le problème, c’est que, quand on commence à s’attacher à une formule et à faire toujours la même chose, même en tant qu’artiste, ça commence à être moins excitant.

David Guetta

Excitantes, les prochaines années promettent de l’être, assure le prince des platines. « Avec la fin des restrictions, je pense qu’on va aller dans trois ou quatre ans de folie. Je l’ai vu. J’étais l’un des premiers gros artistes à se produire à Vegas quand ils ont rouvert. La fête, c’était dingue. Je n’avais pas vu ça depuis 10 ans. »

Au cours de l’été, David Guetta reprendra sans doute la barre de ses soirées courues à Ibiza. Il a aussi inscrit quelques dates ailleurs en Europe dans son calendrier.

Il faudra toutefois patienter avant de le voir atterrir à l’aéroport Montréal-Trudeau. « Ça me manque, le Québec, dit-il. Je suis français et je passe beaucoup de temps aux États-Unis, je travaille avec beaucoup d’artistes américains. Je me sens vraiment entre les deux cultures. Quand je suis au Québec, et spécialement à Montréal, je me sens vraiment bien parce que c’est exactement comme moi, je suis entre la France et les États-Unis. »

Du « recul » face aux critiques

Militantisme de façade, allégations de plagiat, inclinaisons commerciales, concerts élitistes, équipe de collaborateurs anonymes : sous son parapluie doré, David Guetta n’est pas à l’abri d’une pluie de critiques. « Ça fait partie du succès, fait-il observer. Au début, ça me touchait énormément, je devenais fou. La période où j’étais le plus critiqué, c’est quand j’ai fait Titanium, I Gotta Feeling et When Love Takes Over. À l’époque, je venais d’une scène plus underground. On disait : “David Guetta, c’est commercial. Il travaille avec des artistes pop.” Après, tout le monde pendant 10 ans, dans notre scène, a fait ça. J’ai quand même cette expérience d’avoir déjà été critiqué très fort pour qu’ensuite, tout le monde fasse la même chose. Donc, ça me touche quand même moins que ça me touchait à l’époque. » Et les honneurs, comme ce titre retrouvé de « meilleur DJ au monde » selon le palmarès 2020 du magazine britannique DJ Mag ? « Je pense que je ne suis jamais devenu fou avec les éloges, que je suis resté assez normal. »