Ça semblait presque irréel : une petite tournée en zone orange, Amqui, Rimouski, Rivière-du-Loup. Alma et Jonquière suivront à la mi-avril. Ces concerts, prévus pour le printemps 2020, auraient finalement lieu un an plus tard, devant public !

Début mars, les répétitions commencent avec le Quatuor Molinari : un théâtre musical sur les fables de La Fontaine, musiques de Denis Gougeon et de Jean-Philippe Rameau.

0:00
 
0:00
 

Le mardi 16 mars, à 8 h 30, on charge le clavecin dans une fourgonnette louée, puis direction la Gaspésie. La route est belle et sèche, le temps et le fleuve, splendides.

On transporte notre zone rouge avec nous, ce qui implique de traîner des provisions pas trop périssables et de luncher rapidement dehors, près du camion : le soleil est bon, mais le vent rend les - 8 Celsius de Trois-Pistoles un brin inconfortables.

Un petit tour de reins en déchargeant le clavecin à Amqui : vite une pharmacie, puis une longue marche le long de la Matapédia, en repassant les textes de La Fontaine, aussi exigeants que magnifiques.

PHOTO FOURNIE PAR CATHERINE PERRIN

Le pont couvert Beauséjour dans la ville d’Amqui

Le lit est mou, la nuit agitée par le trac, visite connue mais pas reçue depuis longtemps. Plus d’un an depuis le dernier concert devant public : il faut se rappeler comment gérer le trac, cette présence informe et envahissante qui gruge l’intérieur du corps.

« Cette crainte maudite m’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts ! »*

Quelle absurdité : je sais pourtant que ce spectacle fonctionne, je l’ai joué à plus de vingt reprises (vingt représentations, c’est à peine le rodage d’un humoriste, mais en musique classique, c’est énorme).

Pourquoi je fais ça ? Pourquoi m’infliger ça ?

Michel, le gentil directeur technique, me raconte que Luce Dufault, passée par Amqui la veille, traversait les mêmes angoisses de retour sur scène.

Je me sens moins seule, mais pas mieux.

Michel reçoit pour la première fois un clavecin dans sa salle, mais il est depuis longtemps passionné par les fables de La Fontaine : il les a écoutées toute son enfance, sur un disque de Louis de Funès que je ne connaissais pas, devenu un objet culte pour lui.

0:00
 
0:00
 

C’est aussi ça, la tournée : découvrir des équipes techniques formidables, des gens souvent très curieux.

Mais la grosse boule est toujours là, je compte les heures et mon courage.

« Les gens de naturel peureux
Sont bien malheureux. Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite ; Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers. »

Mes amis du Quatuor Molinari, qui ont enchaîné des programmes chargés en musique de chambre et en orchestre dans les dernières semaines (tous webdiffusés), semblent en grande forme, se demandent comment on trouvera à manger après le concert, alors que toute idée de nourriture me donne le vertige.

La résistance au stress de performance, c’est un entraînement : voilà le désavantage d’une carrière à temps partiel comme la mienne…

« Et la peur se corrige-t-elle ? Je crois même qu’en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi. »

Mettre le pied sur scène, c’est la fin du gouffre intérieur. Dès la première fable, on sent le public avec nous, on entend des rires, on sent la chaleur humaine. Et là, un autre danger se pointe : un genre d’euphorie qui décale juste un peu la concentration. Trois ou quatre fois, j’ai l’impression de frôler un précipice, d’avoir des petites bulles au cerveau, comme un plongeur qui renoue avec les grandes profondeurs en allant juste un peu trop vite. Il faut retrouver le dosage instinctif entre le contrôle technique et l’abandon, qui fait la véritable présence.

D’une pièce à l’autre, d’un soir à l’autre, la coordination entre les instruments devient plus naturelle, la confiance prend du mieux.

On s’habitue au rituel du clavecin qu’il faut déménager, accorder, on se réhabitue à boucler les valises, retrouver l’ascenseur en sortant d’une troisième chambre d’hôtel en trois jours. C’est à ces petits détails que je mesure que la pandémie nous a rendus plus… statiques : faire une valise est devenu un (micro) évènement.

Ce qui manquera à cette tournée : l’échange direct avec le public, interdit après les concerts pour l’instant. Mais on aura apprécié chaque rire, chaque bruissement et tous les applaudissements, en plus des longues conversations sur la route.

*Extraits de la fable Le Lièvre et les Grenouilles, Jean de La Fontaine

Des spectacles à venir

Ils seront sur scène dans les prochains jours, avec ou sans trac, mais heureux de vous voir :

Le Studio de musique ancienne de Montréal présente Des pieds à la tête : le cycle Membra Jesu nostri, de Buxtehude, mercredi et jeudi à 19 h, à la salle Bourgie. Une œuvre absolument splendide, associée à la semaine sainte.

0:00
 
0:00
 

> Obtenez des billets

Toujours à la salle Bourgie, vendredi à 15 h, Les Idées heureuses proposent un paysage musical de Ville-Marie au XVIIIe siècle, reconstituant une messe du Samedi saint avec des œuvres provenant des archives exceptionnelles des Sœurs Grises de Montréal.

> Obtenez des billets