Il n’y a pas que des gens fâchés sur les réseaux sociaux, il y a aussi des propagateurs de joie. Comme l’auteur-compositeur-interprète Damien Robitaille, qui soutient le moral de ses abonnés depuis le début de la pandémie par des reprises de tubes célèbres ou de ses propres chansons, faites à la mitaine dans son sous-sol, où il joue parfois de tous les instruments en homme-orchestre. Voix, piano, flûte, guitare électrique ou acoustique, percussions, beat box, je ne serais pas étonnée de voir apparaître un thérémine bientôt.

Si, au Québec (et au Brésil, paraît-il), nous connaissons bien sa production virale au temps du virus, il lui aura fallu 137 vidéos avant de « casser l’internet », comme on dit, avec une reprise bien à lui de Pump Up the Jam de Technotronic, un gros succès de 1989, dans laquelle surgit Suki, sa chienne akita, imperturbable devant le délire créatif de son maître qui passe tous les jours des heures interminables à peaufiner ses interprétations.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Damien Robitaille

Quand l’ex-joueur de basket-ball Rex Chapman, gros influenceur sur la plateforme Twitter, a partagé la performance de Damien Robitaille (de même que l’acteur Elijah Wood !), la vidéo a atteint les 3 millions de vues en quelques heures, et au moment d’écrire ces lignes, on approchait des 4 millions. Sans compter les visionnements de la même vidéo sur Instagram, TikTok, YouTube ou Facebook.

Damien Robitaille en est heureux, bien sûr, mais il sentait que ça ne prenait « qu’un petit quelque chose pour tout faire débouler ». Après plusieurs semaines de production tout seul à la maison avec Suki, il a pu analyser les réactions des internautes, et l’artiste franco-ontarien, qui a toujours un peu flirté avec la marge, n’a probablement jamais reçu autant d’attention que depuis ce marathon entamé pour des raisons bien personnelles, au fond. S’il y a une leçon à retenir de ce que fait Damien Robitaille en ce moment, qui peut en apparence sembler léger et sympathique, c’est que cela a été une façon pour lui de ne pas baisser les bras.

La pandémie a entraîné l’annulation de ses contrats et de ses shows. L’an dernier, il a vécu une séparation et ses enfants sont partis vivre en Espagne, où il n’a pas pu aller les voir pendant cinq mois.

J’avais un choix. Ou bien je restais chez moi, à regarder des films, à boire et à déprimer. Ou bien je me retroussais les manches. Tu n’as pas de contrat, mais fonce. Travaille, aie du fun, et de bonnes choses vont t’arriver. Et jusqu’à date, ça paye. Parce que même avant Pump up the Jam, ça m’a amené plein de contrats. Ça m’a vraiment sauvé la peau.

Damien Robitaille

« Quand tu n’as pas d’album, qu’il ne se passe rien de nouveau, tu es moins invité à la télé ou la radio. Faire ça a généré de l’intérêt, des invitations, des spectacles en ligne. Le monde ne me parle que de ça », continue-t-il.

Damien Robitaille travaille comme un fou sur chacune de ses propositions. Il s’excuse publiquement quand il saute une journée sans publier une vidéo, alors qu’il n’a aucune heure de tombée. Celui qu’Anaïs Favron a surnommé le « Chuck Norris de la musique » parce qu’il ne se fatigue jamais avoue que tout ça occupe ses journées. « Ça peut prendre huit heures par chanson. Apprendre la toune, pratiquer, filmer après, pogner la bonne prise, les habits, l’éclairage, le montage, et tout. Je suis rendu obsédé par ça, c’est magique. Je me lève le matin et je me demande : quelle chanson je vais faire aujourd’hui ? »

C’est aussi thérapeutique pour lui que pour nous. Un matin de détresse, me sentant comme une épave en buvant mon café, sa version de Sabotage des Beastie Boys a « fait ma journée ». C’est d’ailleurs ce que beaucoup d’internautes écrivent en partageant ses vidéos : « Ça fait ma journée. » Un leitmotiv de la toune Pump up the Jam : « Make my day. »

La musique me sauve. Ça me donne un horaire. L’important, au-delà de l’argent et tout ça, c’est la fierté. Tu vas te coucher et tu as accompli quelque chose de ta journée. Je suis souvent ému quand je finis une toune, même si c’est niaiseux, parce que je mets mon âme dedans.

Damien Robitaille

Qu’il reprenne les Spice Girls, Bob Dylan, ABBA ou Haddaway, il estime avoir évolué depuis le début de la pandémie où il proposait des pièces un peu plus tristes. Maintenant, il s’adapte à l’ambiance générale. « Je regarde la météo souvent, et ce qui se passe aux nouvelles aussi. » Quand deux enfants ont été enlevés par leur père cet été, avec le dénouement funeste que l’on sait, Damien Robitaille a choisi de chanter humblement Runaway Train de Soul Asylum à la guitare. « De temps en temps, une bonne ballade, ça fait du bien », résume-t-il.

Le dernier album de Damien Robitaille avant la catastrophe sanitaire était un album de Noël en 2019 intitulé Bientôt ce sera Noël. Ce qu’on ne fêtera pas bientôt en 2020, si on veut qu’à Noël 2021 on ne se souvienne pas avoir contaminé des êtres aimés. Comme tout le monde, il attend les directives, et il ne sait pas s’il pourra voir ses enfants, quand bien même il est le porte-parole de l’activité Noël dans le parc, où il doit se produire le 18 décembre.

> Consultez le site Noël dans le parc

Mais, stimulé par le succès viral de sa vision de Pump Up the Jam, il était déjà en train de préparer sa prochaine vidéo, parce qu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. Et Suki dans tout ça ? Celle qui a ajouté l’ingrédient magique à la vidéo en ayant l’air presque blasée de vivre avec un artiste multi-instrumentiste un peu zélé ? Car il en a fallu des prises à son compagnon humain pour obtenir une version potable vers 23 h ce soir-là. « Elle est ben chill, répond Damien Robitaille. C’est une drôle de chienne qui ne demande pas beaucoup d’attention, comme un chien-chat. Elle est arrivée quand j’avais une bonne prise, la seule parfaite. Je l’ai gardée, en me disant que les gens allaient trouver ça sympathique. »

Je pense qu’elle non plus n’a pas pu résister. Ou bien c’était juste l’heure d’aller se coucher.