Après Landing, premier album aussi triste que beau dans lequel on a découvert sa voix bouleversante de douceur et sa sensibilité extrême, la chanteuse Beyries a développé avec le public une véritable relation intime. Trois ans plus tard, c’est d’ailleurs le thème de la rencontre qui est au cœur d’Encounter, deuxième album qui devrait adoucir notre automne pandémique tout en lui faisant emprunter de nouvelles avenues.

« S’il y a une chose que j’ai intégrée, c’est que quand tu fais de la musique, tu n’as aucun contrôle sur ce que ça va générer chez les gens. Quand je compose une chanson, je suis dans un état X que j’aime, et tant mieux si ça résonne ! »

Amélie Beyries ne sait pas si Encounter saura réconforter ceux et celles qui l’écouteront. Et ce, même si après Landing, les gens lui ont confié qu’ils écoutaient sa musique dans toutes sortes de situations – en faisant du yoga, en écrivant, dans des funérailles.

Ma musique a accompagné beaucoup de familles. Ce que je souhaite le plus comme artiste, c’est de créer un lien avec les gens. Parce que les humains, dans le fond, on est tous pareils.

Beyries

C’est le constat qu’elle a fait depuis longtemps : en voyageant beaucoup depuis trois ans avec ses chansons, mais aussi avant, lorsqu’elle travaillait en restauration.

« En restauration, tu vois 400 personnes par jour, mais tu te rends compte, à la longue, qu’il y a des comportements très généralisés, une façon d’être qui est très touchante. Ça m’intéresse beaucoup, cette espèce de matrice, ce dénominateur commun qui fait que n’importe où dans le monde, on sait tous c’est quoi avoir peur, être triste, être en colère. »

Métier

Encounter parle donc de rencontre, de toutes les rencontres. Celle avec le public, bien sûr. Celle aussi avec ses collaborateurs, dont le preneur de son Guillaume Chartrain, son ami d’enfance. « On peut dire que ça fait 35 ans qu’on se connaît, c’est hallucinant qu’on soit encore capables d’avancer ensemble ! »

Et celle avec elle-même. « Comment j’ai évolué comme artiste, c’est quoi, la suite, maintenant que je suis rendue là. »

C’est probablement ce qui a le plus changé pour Beyries : arrivée à la chanson dans la trentaine après être passée à travers deux cancers et des traitements difficiles, c’est en fabriquant son deuxième album qu’elle estime être vraiment « devenue » une autrice-compositrice-interprète.

« Ç’a clairement été plus de travail. J’ai réalisé le côté artisanal de ce métier. Autant j’ai fait un apprentissage intense de la scène après le premier album, autant là, ç’a été un travail de fond sur les chansons. » S’asseoir et écrire, faire des choix esthétiques avec le réalisateur Alex McMahon, trouver un fil conducteur…

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

« Quand je regarde notre époque, je la trouve incroyable, très riche pour les artistes. »

J’avais une intention claire dès le départ, celle de sortir de cette introspection du premier album. Mais en gardant l’intimité parce que ça fait partie de ma nature profonde.

Beyries

Son premier critère était que les chansons, composées sur le vieux piano de sa grand-mère qu’elle a fait restaurer, tiennent en version piano-voix ou guitare-voix. Elles ont été habillées pour mieux être déshabillées ensuite. « Je répète mes tounes en ce moment et je suis tellement contente d’avoir suivi cette règle ! »

Même en sortant de sa zone de confort sur quelques chansons en prenant une direction plus pop, la voix de Beyries est restée son fil conducteur. « On a essayé de la rendre le plus proche possible. »

Trop-plein

Faire une entrevue avec Beyries, c’est aussi engager la discussion sur toutes sortes de sujets connexes, comme la crise écologique, qui l’ont inspirée sur l’album. « Je suis une passionnée d’histoire, et quand je regarde notre époque, je la trouve incroyable, très riche pour les artistes. »

L’autrice-compositrice-interprète n’est pas imperméable au monde qui l’entoure. Mais elle ressent parfois un trop-plein d’information, tellement qu’elle fait maintenant l’éloge de la lenteur et qu’elle s’est récemment éloignée des réseaux sociaux.

« On est comme des enfants qui mettent la main dans un plat de bonbons, ça donne mal au cœur à la longue. Il y a de ces réflexions dans Encounter : à force de se bourrer d’information, elle perd son sens. Over Me parle de ça, du fait que je me sens complètement dépassée. »

Après y avoir fait face de près récemment – « J’ai 41 ans et je sais que ça va continuer » –, la mort rôde aussi sur Encounter. « Je me suis rendu compte qu’on était devenus très mal à l’aise collectivement face à ça, et je me suis demandé ce que ça donnerait si on l’accueillait plus et mieux. »

Longueur d’onde

Sensibilité, douceur, quête de sens, mélancolie : il y a de tout ça sur cet album qui, malgré une direction artistique différente, porte toujours la même tristesse intrinsèque à la chanteuse. « Je l’assume. Il y a en moi une part d’ombre qui est importante. »

Cette tristesse que nous avons tous en nous, il faut simplement choisir de la regarder en face ou pas, ajoute Beyries. « Moi, elle me fait moins peur qu’avant. C’est comme la fois où tu pars avec ta [lampe] frontale dans le bois la nuit avec tes amis : ce n’est pas naturel, mais c’est une expérience riche. C’est comme ça que j’ai envie de le voir : observer ce qui est épeurant tout en gardant une main sur la terre ferme. »

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Ces nouvelles chansons, en tout cas, risquent d’accompagner bien des gens lors des prochains mois, alors que la pandémie génère de plus en plus d’anxiété. Pourquoi a-t-on le réflexe d’écouter des chansons tristes pour se réconforter ?

« Peut-être parce qu’elles sont alignées avec nos émotions ? Je crois beaucoup à la science derrière la musique et veut, veut pas, la musique, c’est une question d’ondes. Quand on est triste, on n’a pas nécessairement envie d’écouter du gros Beyoncé, parce que ça clashe avec notre fréquence. Des fois, je me force à sortir de ce mood en écoutant autre chose, mais des fois, j’ai juste envie de rester dedans, d’être accompagnée par quelqu’un qui est sur la même longueur d’onde. C’est rassurant. »

Pendant la pandémie, Beyries a beaucoup créé – « J’ai trois albums en chemin ! » –, mais elle a hâte de reprendre la tournée, dont le début est annoncé en février, sans certitude qu’elle aura lieu.

« Je suis en train de lire Yoga, d’Emmanuel Carrère, et à un moment, il dit : “si tu veux faire rire dieu, parle-lui de tes projets” ! Les shows sont prévus, mais on ne sait pas si ça va se passer. Mais on répète et j’ai envie d’en faire. Là, j’ai le goût de dire allô ! »

Sans surprise, c’est surtout la rencontre avec les spectateurs qui lui manque. « Partager, c’est tellement tripant. C’est de ça que je m’ennuie. Une tournée de festivals ? Non. Le rapport avec les gens ? Oui, c’est ça qui me manque vraiment. »

IMAGE FOURNIE PAR BONSOUND

Encounter, de Beyries

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