La musique de Muzion est l’une des principales raisons pour lesquelles Rymz s’est intéressé au rap. Vingt ans plus tard, lorsque Imposs a entendu ce que le jeune rappeur avait à offrir, il l’a vu comme le plus grand espoir du milieu hip-hop québécois. La rencontre entre le pionnier et l’héritier était inéluctable. Ils ont finalement collaboré, cette année, sur une pièce du nouvel album d’Imposs. Conversation avec deux artistes qui s’admirent, se respectent et ont beaucoup en commun, tant dans leur parcours que dans leurs valeurs.

La Presse : Rymz est l’un des collaborateurs, avec Loud, Tizzo et White-B, sur la chanson Légendaire d’Imposs. Comment vous êtes-vous rencontrés et comment en êtes-vous arrivés à collaborer ?

Imposs : Ça fait longtemps que je suis Rymz. J’étais trop occupé pour voir la scène hip-hop d’ici, je travaillais sur plein de trucs, j’étais parti aussi pendant un bout de temps aux États-Unis, mais son nom revenait tout le temps. Quand je suis tombé sur sa chanson Indélébile [2014], je me suis dit que ce gars était une des plus grandes plumes du rap [francophone] et j’étais fier que ce soit un gars de chez nous. Quand j’ai vu tout ce qui s’était fait sur son album Petit Prince, je me suis dit que si je revenais dans le jeu, il fallait que ce soit avec [la maison de disques] Joy Ride.

> Regardez le vidéoclip de Légendaire, d’Imposs, avec Loud, White-B, Tizzo et Rymz, sur YouTube

Rymz, qu’est-ce qu’a représenté la musique d’Imposs, de Muzion, pour vous ?

Rymz : Muzion a été ma porte d’entrée en ce qui concerne mon intérêt envers le rap. Pour moi, le rap, c’était la liberté. C’était quasiment une forme d’éducation. Je me disais que j’avais accès à la vraie vie à travers le rap. Tu as toujours le feeling, quand tu es jeune, que les adultes ne te disent pas tout. Là, j’avais accès à du concret. Pour moi, le rap, c’était ça : on me disait enfin les vraies choses.

Regardez le vidéoclip de Rien à perdre, de Muzion, sur YouTube

Imposs : Dans la forme du rap, tu as le temps d’élaborer et de détailler beaucoup plus. Pour des artistes comme Rymz, qui ont beaucoup à livrer et à dire, cette forme-là, c’est parfait.

Rymz : Et si tu veux connaître la jeunesse d’une société, écoute le rap de cette société-là. Le rap est un droit de parole qu’on nous accorde. Et en français, Imposs était le premier qui correspondait à ce que j’attendais des paroles et des rimes. Des rimes riches, des jeux de mots spéciaux, c’était le premier à le faire de la façon dont moi je voulais l’entendre. Je m’appelle Rymz, je suis un peu capricieux pour les rimes, et lui, c’était le premier qui répondait à mes attentes là-dessus.

Qu’est-ce que la musique a changé dans vos vies ?

Rymz : La musique et le sport, je pense que ce sont des choses nécessaires dans la vie des gens. Le rap, ç’a été carrément un tournant. C’est tellement riche en potentiel éducatif. À la place d’étudier un livre qui peut sembler long, tu étudies un texte de rap de quelqu’un qui est jeune et qui te représente peut-être plus qu’un Français qui a vécu dans les années 1800. Ça rend ça plus intéressant. Je pense que le rap m’a même aidé sur le plan scolaire.

Imposs : Quand j’étais plus jeune, je n’y pensais pas vraiment, mais en rétrospective, je me rends compte que ç’a vraiment été une bouée de sauvetage. J’étais un peu pris dans le genre de stratagème de ghettoïsation, qui est quelque chose qui existe aussi au Québec, même si les gens pensent que c’est seulement propre aux États-Unis ou ailleurs. Il y a un débalancement sociétal. Et moi, j’étais pris dans cet engrenage-là. Mais j’étais tellement passionné par mes textes que, souvent, au lieu de faire certains trucs, j’étais en train d’écrire. J’avais à peu près 9, 10 ans, j’avais des pages et des pages de textes, c’était une passion. Et souvent, la passion, c’est quelque chose qui peut sauver beaucoup de monde.

Rymz : Ça occupe de manière positive. Quand tu as écrit des chansons avec tes chums, ça te donne une occupation. Je me souviens, à la maison des jeunes où je traînais avec mes chums, je savais que si je ne consommais pas et si j’étais poli, j’avais le droit de mettre ma musique et même de freestyler.

Regardez le vidéoclip d’Indélébile, de Rymz, sur YouTube

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Les rappeurs Imposs et Rymz

C’est important, pour vous, de faire passer un message à travers votre musique ?

Imposs : Je pense que c’est un des points qu’on a en commun. […] C’est ce qui fait que tu peux faire de la musique pendant le restant de tes jours. Les tendances, ça vient, ça part, ça meurt. Mais si ce que tu dis vient du cœur, c’est éternel. Ça résonne ad vitam æternam.

Rymz : Je suis d’accord avec toi, et ça rejoint ce que je disais au début : ce qui m’attirait dans le rap, c’était le fait de pouvoir dire les vraies choses. On rentre dans le vif du sujet. J’avais écrit une chanson qui parle d’une histoire de violence, d’un viol qu’une de mes amies m’avait raconté. Et j’ai reçu tellement de messages de gens qui vivaient des choses un peu semblables. Je me suis dit que c’est bien juste le rap, et peut-être les Cowboys Fringants, qui racontent des histoires de cette façon ! [Rires] Le rap va toucher des sujets directement, en ne passant pas par quatre chemins, en disant des choses crues. Il n’y a pas de cachettes, ce n’est pas politiquement correct, ça dit des gros mots, ça dit ce que ça pense, c’est carré.

Imposs : Il n’y a aucun genre de musique qui va parler du débalancement sociétal, avec les ghettos et les quartiers, dans l’ensemble. […] On a fait un peu de l’éducation de la société québécoise, à notre façon. Il n’y a que dans le rap que tu peux revendiquer des choses comme ça. Que tu peux dire : voilà les injustices qu’on vit. Il y a une dignité là-dedans aussi, on dit qu’on ne va pas se pas laisser faire.

Regardez le vidéoclip de Sans lendemain, d’Imposs, avec Marie-Mai, sur YouTube

Le rap est le genre le plus populaire actuellement. Considérez-vous que le mainstream lui offre vraiment sa place ?

Rymz : En ce qui concerne les ventes, les chiffres ne mentent pas. Pour ce qu’on entend à la radio, c’est une autre affaire. Mais c’est eux les perdants. S’ils en faisaient jouer, ils pourraient augmenter leurs revenus publicitaires. Ils sont dans le passé. Peut-être que quand la tête blanche en haut va céder sa place, ça va changer. On est bien en avant des artistes populaires, à part des exceptions comme les Marie-Mai, qui remplissent des Centre Bell.

Imposs : Tu as une culture au complet qui a été boudée, ignorée, à la largeur de la province. Donc les artistes, pour faire leur bout de chemin, ont dû devenir des entrepreneurs. Tu ne peux pas juste faire de la musique. Tu bâtis quelque chose, tu deviens un producteur. À ce moment, on a suscité un intérêt trop important pour être ignorés. Et à force de mettre cette pression, l’industrie du disque du Québec s’est dit qu’il fallait qu’elle ouvre ses portes. C’est une question de chiffres, c’est toujours une question de business. Tu peux voir qu’il y a un avancement et que ça va dans le bon sens. Il y a eu un long chemin, du début 2000 jusqu’à maintenant, on n’est vraiment plus à la même place. Mais il faudrait qu’ils voient un peu plus large et qu’ils essaient d’élargir leurs choix.

Rymz : En même temps, je comprends que ce soit difficile quand tu n’es pas du milieu. Ce sont des bêtes à apprivoiser, tu ne sais pas qui est crédible. Mais déjà, pour la connotation du mot rap, ça a évolué. Avant, tu ne disais pas que tu étais un rappeur aussi fièrement que maintenant à tes soupers de famille. Maintenant, c’est plus accepté dans la culture populaire.

Imposs : Mais le rap québécois est tellement plus large que ce qui est autorisé. Il y a tellement d’artistes sans ressources qui réussissent à susciter tellement d’intérêt, qui font des choses incroyables, sans l’aide de personne. Ils devraient pouvoir tourner le regard vers ça.

Rymz : Ça va dans les deux bords. Il y a une fermeture de l’industrie, mais aussi de la part des artistes par rapport à toute l’industrie.

Imposs : Tout le monde a sa part de chemin à faire. Mais l’industrie doit être plus ouverte d’esprit. J’ai fait des trucs récemment et on a bien scoré à la radio. Moi et Rymz, on a été faire Légendaire avec Loud et Tizzo et White-B à La semaine des 4 Julie. J’ai été dernièrement faire Tout le monde en parle.

Rymz : C’est des moves comme ça qui font que ça avance. Les gens nous voient à La semaine des 4 Julie, ça rentre dans la culture populaire. C’est niaiseux, mais c’est ça.

Que souhaitez-vous pour le hip-hop québécois ?

Imposs : Il faut qu’on arrête de vouloir ressembler aux autres ou aller ailleurs. Il faut commencer à prendre conscience que ce qu’on a ici en tant que culture hip-hop, qui nous appartient à nous tous, c’est une richesse et c’est beaucoup plus énorme que ce qui se passe ailleurs. Je peux dire qu’il n’y a rien de mieux que ce qui se passe ici en ce moment. Si tu regardes l’aspect démographique, ce n’est pas le même territoire, tu ne vas pas faire l’argent qu’un Américain ou un Européen va faire, mais tu peux faire de l’argent et vivre très bien et avoir une conscience et une liberté. J’espère aussi que l’industrie va ouvrir ses portes encore plus, par rapport à l’ensemble de ce qui se fait dans le hip-hop et pas juste par rapport à ce qu’ils pensent qui est safe.

Rymz : C’est ce que j’allais dire. Qu’ils n’aient pas peur. Qu’ils n’invitent pas Rymz parce qu’ils savent qu’il est gentil et qu’il est blanc, qu’ils invitent les autres aussi. Ceux qui font la musique qui les rejoint moins, mais qui parle à d’autres personnes. […] Pour ma part, je souhaite au rap québécois qu’il garde sa raison d’être, qu’il reste vrai, qu’il parle aux jeunes, qu’il parle des vraies choses, qu’il ne se mette pas à rentrer dans la gimmick de la musique populaire pour faire des sous, mais qu’il garde son essence première qui m’a attiré depuis le premier jour. Quand j’entends Imposs et Connaisseur [Ticasso] qui reviennent sur la scène, je me dis qu’il y a un p’tit cul qui va avoir le même feeling que quand j’ai écouté du rap pour la première fois, ce qui a finalement changé ma vie. Si on peut garder l’essence du rap bien vivante, je vais être très heureux.

IMAGE FOURNIE PAR JOY RIDE RECORDS

ÉlévaZIIION (Société distincte), d’Imposs

Rap. ÉlévaZIIION (Société distincte), d’Imposs, Joy Ride Records. En vente maintenant.

IMAGE FOURNIE PAR JOY RIDE RECORDS

Faiseur de pluie, de Rymz

Rap. Faiseur de pluie (EP), de Rymz, Joy Ride Records. En vente maintenant.