À une semaine du Gala de l’ADISQ, qui sera animé par Louis-José Houde et présenté sur les ondes de Radio-Canada, La Presse s’est entretenue avec les cinq finalistes de la catégorie auteur-compositeur ou auteure-compositrice de l’année, des artistes aux quatre coins du cosmos musical québécois.

Les Sœurs Boulay

La Presse : Du rap, de l’instrumental, de la chanson… Vous attendiez-vous à vous retrouver finaliste dans une catégorie aussi diversifiée pour le meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

Les Sœurs Boulay : Non. À tous les projets qu’on sort, c’est la catégorie qu’on espère le plus, qui est la plus dénuée de bling-bling. Et c’est toujours étonnant de s’y retrouver quand on est une femme parce que c’est très rare. Il y a toujours un ratio d’une femme pour quatre hommes, des fois même c’est zéro. Dans ce cas-ci on l’espérait, parce que c’est la première fois qu’on fait un album complet à deux et qu’on garde une bulle d’écriture hermétique. C’est difficile pour une femme dans l’industrie de se faire confiance et de tenir à ses idées, alors c’est flatteur de se retrouver dans cette catégorie.

La Presse : Cette année, cette catégorie représente-t-elle bien ce qui se fait en musique au Québec ?

Les Sœurs Boulay : C’est difficile à dire. Même le Gala de l’ADISQ dans sa forme devrait mieux représenter la diversité. On voit qu’il y a des efforts qui sont mis pour essayer de représenter le plus possible toute la musique qui est faite au Québec, mais il y en a encore à faire. Le gala, c’est comme un gros paquebot, mais on sent qu’il avance du bon bord, comme avec la nouvelle catégorie Artiste autochtone qui est présentée le dimanche soir. C’est quand même politique, un gala. Cette année, on s’est même demandé si on y irait ; on était déchirées entre notre tristesse et notre colère face à ce qui s’est passé dans l’industrie cet été [la vague de dénonciations] et l’idée d’utiliser notre tribune pour dire ce qu’on a à dire. Alors on a décidé d’y aller.

La Presse : Qu’est-ce que ça signifie pour vous d’être finalistes pour le Félix du meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

Les Sœurs Boulay : C’est la reconnaissance de toutes les reconnaissances, celle qui a le plus de valeur. L’essence de notre travail, quand tu extrais ça du reste, c’est ça : deux filles qui écrivent des chansons dans leur salon. C’est vraiment la source, la matière première de notre travail. La raison pour laquelle on fait cette job, c’est pour créer, construire quelque chose qui n’existait pas avant. C’est aussi un espace où on est libres, où on a le droit d’être authentiques, de ne se retenir de rien. Il n’y a pas d’autres intermédiaires.

La Presse : S’il y avait un sixième finaliste, qui auriez-vous souhaité que ce soit ?

Les Sœurs Boulay : Les Hay Babies. Elles se démarquent vraiment par la qualité de leurs textes et leurs habiletés de compositrices, musiciennes, artistes. C’est un album vraiment, vraiment réussi.

KNLO

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

KNLO

La Presse : Du rap, de l’instrumental, de la chanson… Vous attendiez-vous à vous retrouver finaliste dans une catégorie aussi diversifiée pour le meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

KNLO : Non. Et ça me fait plaisir, au nom collectif des gens avec qui je fais de la musique depuis le début et de la communauté hip-hop québécoise. C’est surtout ça qui me rend fier, le symbole que ça représente.

La Presse : Cette année, cette catégorie représente-t-elle bien ce qui se fait en musique au Québec ?

KNLO : En toute humilité, dans toutes les catégories, chacun connaît quelqu’un qui est meilleur que lui. C’est le cas à 100 % dans le domaine du rap. Dans tous les styles, tout le monde serait capable de nommer un confrère, une consœur, un camarade de musique qu’il considère d’un niveau supérieur. Il y a toujours ça un peu qui cohabite avec la notion de nomination. Ceci étant dit, graduellement, l’ADISQ me semble assez représentative de la musique qui se fait au Québec. Mais je ne sais pas si je suis la bonne personne pour statuer là-dessus.

La Presse : Qu’est-ce que ça signifie pour vous d’être finaliste pour le Félix du meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

KNLO : Comme je disais, c’est un peu inséparable de la communauté avec qui je roule. On se rend compte depuis qu’on fait des shows plus activement, sur d’autres scènes que la micro-scène hip-hop, qu’on crée des liens avec des gens d’autres genres musicaux, on se croise à travers les styles, on collabore. C’est cohérent avec l’époque actuelle. C’est aussi un update : on était à l’ADISQ l’an dernier pour faire le DJ set, c’était la première fois qu’un groupe de rap faisait ça ! Et là, cette année, on y va pour se représenter. Mais honnêtement, je ne peux pas juste la prendre personnelle, cette nomination, parce que ma musique a toujours été faite de façon collective.

La Presse : S’il y avait un sixième finaliste, qui auriez-vous souhaité que ce soit ?

KNLO : Benny Adam. C’est un grand auteur-compositeur qui travaille dans l’ombre. Avant de faire son projet solo, il a composé pour d’autres et, dans la musique qu’on fait, dans notre petit monde, c’est lui le roi de la composition en ce moment.

Louis-Jean Cormier

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Louis-Jean Cormier

La Presse : Du rap, de l’instrumental, de la chanson… Vous attendiez-vous à vous retrouver finaliste dans une catégorie aussi diversifiée pour le meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

Louis-Jean Cormier : On ne s’attend jamais à être nommé. Ce que ça me fait, c’est que je suis heureux de voir que ce n’est pas que de la chanson comme on l’entend habituellement, comme on la connaît, comme on la voit depuis bien longtemps au Québec. La composition et l’écriture, c’est vaste. Voir Flore Laurentienne ou du rap dans la catégorie, ça me fait d’autant plus plaisir que je suis un amateur de musique instrumentale et de hip-hop. Le hip-hop, c’est probablement le style de musique le plus novateur ces dernières années.

La Presse : Cette année, cette catégorie représente-t-elle bien ce qui se fait aujourd’hui en musique au Québec ? Devrait-il y avoir d’autres genres musicaux ou plus de femmes, par exemple ?

Louis-Jean Cormier : J’ai toujours le réflexe de me mettre dans la peau de ceux qui organisent le truc, comment ils s’y prennent, comment ils ratissent large au niveau du nombre de sorties ou de styles. Avoir un disque comme celui de Flore Laurentienne, ça fait du bien parce qu’on pourrait le mettre dans une catégorie classique d’une certaine façon. […] C’est de plus en plus ouvert. Il va falloir être attentif autant sur le plan de la parité que des styles musicaux.

La Presse : Qu’est-ce que ça signifie pour vous d’être finaliste pour le Félix du meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

Louis-Jean Cormier : Je suis content d’être nommé dans cette catégorie-là, mais je suis encore plus content de voir que tous mes collaborateurs sont nommés aussi : Daniel Beaumont, David Goudreault, Alan Côté… C’est la représentation des vrais artisans. Tout part de là, de l’artisan, c’est la base des tounes. Il y a un geste de grande générosité de la part de ces gens-là [ses collaborateurs] de se mettre les mains dedans tout en restant dans l’ombre. Ce qui me drive le plus dans mon métier, c’est de faire des trucs avec d’autres, et ce qui me fait le plus souffrir pendant cette pandémie, c’est de ne pas pouvoir collaborer… C’est très rare que quelqu’un puisse faire un projet de A à Z tout seul et j’y crois très peu.

La Presse : S’il y avait un sixième finaliste, qui auriez-vous souhaité que ce soit ?

Louis-Jean Cormier : C’est dur à dire, c’est délicat… Et je ne connais pas les dates d’admissibilité… Si je pense à une fille, d’emblée, j’ai un gros coup de cœur pour Laurence-Anne. Je trouve qu’elle a un bel univers.

Pierre Lapointe

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Lapointe

La Presse : Du rap, de l’instrumental, de la chanson… Vous attendiez-vous à vous retrouver finaliste dans une catégorie aussi diversifiée pour le meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

Pierre Lapointe : Je trouve ça bien de retrouver quelqu’un de la famille hip-hop avec KNLO. Ça démontre que l’écriture d’une chanson rap est aussi prestigieuse que celle d’une chanson folk ou pop. […] C’est sans doute lui qui est le plus en phase avec la musique actuelle. Moi, j’ai une façon de faire plus traditionnelle. C’est aussi bien qu’on retrouve des femmes, deux de surcroît [Les Sœurs Boulay]. Cela augmente la moyenne.

La Presse : Cette année, cette catégorie représente-t-elle bien ce qui se fait aujourd’hui en musique au Québec ?

Pierre Lapointe : Le réel problème, en ce moment, c’est qu’il y a une confusion. Qu’est-ce que les gens écoutent ? Avant, c’était assez clair : tu avais un hit à la radio, tu te ramassais dans le top 10 des ventes et tes salles étaient pleines. Aujourd’hui, tu peux avoir un hit sans être connu des gens et ne pas vendre de disques. L’inverse est aussi vrai. […] Le modèle de faire des albums est complètement dépassé avec les playlists. Un album, pour moi, c’est de l’artisanat d’une autre époque, même si les subventions et les maisons de disques fonctionnent toujours comme cela. Est-ce que l’industrie est à l’image de ce que les gens écoutent ? Je ne sais pas. Je suis confus.

La Presse : Qu’est-ce que ça signifie pour vous d’être finaliste pour le Félix du meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

Pierre Lapointe : Je trouve ça important que la catégorie et que le gala existent. En France, par exemple, les maîtres, comme un doreur ou des petites mains qui font de la haute couture, sont protégés par le gouvernement. Le métier d’auteur-compositeur est un métier d’artisan qui s’apprend et qui se maîtrise. C’est un savoir-faire important dans la société.

La Presse : S’il y avait un sixième finaliste, qui auriez-vous souhaité que ce soit ?

Pierre Lapointe : Félix Dyotte pour l’album d’Évelyne Brochu [Objets perdus]. Il doit avoir une reconnaissance à la hauteur de son talent. Ça fait longtemps qu’on travaille ensemble. C’est un excellent auteur-compositeur-interprète et aussi un super réalisateur. Comme ce fut le cas avec Philippe B, il faudra du temps avant que les gens voient l’étendue de son talent. Ce sont des gars plus timides qui se mettent moins à l’avant-plan que moi.

Flore Laurentienne

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Mathieu David Gagnon, l’homme derrière le projet instrumental Flore Laurentienne

La Presse : Du rap, de l’instrumental, de la chanson… Vous attendiez-vous à vous retrouver finaliste dans une catégorie aussi diversifiée pour le meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

Flore Laurentienne : Je trouve qu’ils ont eu le guts de mettre autant de diversité et de reconnaître qu’un artiste qui fait du hip-hop est autant dans la recherche et la création musicales que moi, qui suis un compositeur qui a une quinzaine d’années d’études en musique classique et en composition. Je trouve que ça a la même valeur. Que [l’ADISQ] le réalise, ça exprime bien la diversité musicale qui existe de nos jours. Et je trouve le fun que l’ADISQ ait mis de l’avant un projet comme le mien, qui tombe souvent dans les craques du plancher.

La Presse : Cette année, cette catégorie représente-t-elle bien ce qui se fait aujourd’hui en musique au Québec ?

Flore Laurentienne : Ça représente bien le paysage musical. J’avoue [quand même] que je ne suis pas l’homme le plus au fait de l’actualité musicale, je suis plus dans mes vieux vinyles et mes vieilles œuvres classiques.

La Presse : Qu’est-ce que ça signifie pour vous d’être finaliste pour le Félix du meilleur auteur ou compositeur de l’année ?

Flore Laurentienne : C’est un grand honneur. […] Je trouve ça bien que mon travail soit vu comme un travail de compositeur, c’est ce que je pense que je suis, c’est la voie que j’ai prise il y a une dizaine d’années.

La Presse : S’il y avait un sixième finaliste, qui auriez-vous souhaité que ce soit ?

Flore Laurentienne : Il y a plein de gens qui sont plus dans l’ombre. Je peux penser à la musique de film ou aux gens de la scène jazz, qui ne sont pas tellement mis de l’avant. Mais je ne peux pas vraiment donner de noms…

Le Gala de l’ADISQ sera diffusé dimanche prochain, 20 h, à ICI Radio-Canada Télé.