Elle est montréalaise. Elle est d’origine africaine. Elle est trans. Et elle vient de remporter le prix Polaris du meilleur album canadien de l’année. Retenez son nom. Elle s’appelle Backxwash.

« Comment je fête ça ? En buvant beaucoup d’alcool ! »

Backxwash s’esclaffe au bout du fil. Ponctue ses phrases de nombreux « yeah ! », puis rigole encore.

La rappeuse montréalaise a toutes les raisons de célébrer cette semaine : elle a remporté le prestigieux prix Polaris, remis par la critique au meilleur album canadien de l’année, pour son mini-album God Has Nothing to Do with This, Leave Him Out of It. Un honneur qui couronne un parcours atypique.

Backxwash n’a certes pas volé son prix. Même s’il dure moins de 23 minutes, God Has Nothing to Do with This... est une aventure sonore qui ne laisse pas indemne, avec son mélange parfois expérimental de rap, de goth, de métal et de sonorités africaines.

Mais au-delà de la musique, sa victoire est aussi, beaucoup, celle de la diversité. Car Backxwash est la première femme trans noire à recevoir le prix Polaris et à être, par le fait même, reconnue officiellement par l’industrie musicale canadienne.

La principale intéressée en est bien consciente. « J’espère que cette victoire ouvrira des portes », dit-elle, en évoquant la vibrante scène queer de Montréal, qui peine trop souvent à élargir son public, étant systématiquement confinée à l’underground (voir notre entrevue avec Blxck Cxsper dans l’écran suivant).

Backxwash a elle-même beaucoup ramé avant d’en arriver là.

Depuis son arrivée à Montréal en 2017, cette Zambienne d’origine a écumé toutes les soirées à micro ouvert pour parfaire son art. Mais comme d’autres dans sa communauté, elle s’est heurtée au conservatisme de la scène hip-hop traditionnelle, qui a tourné le dos à sa marginalité.

Si tu es queer, c’est très difficile de percer ce milieu. À part quelques endroits, les gens ne te donnent aucune chance de montrer ce que tu fais. Je le dis sans trop me tromper. Parce que mes amis qui ne sont pas queer ont eu plus d’opportunités.

Backxwash, à propos de la scène hip-hop

Cet aspect de Montréal l’a manifestement déçue. Mais elle ne tient pas non plus à ce qu’on la résume à son identité « non binaire ». Elle trouve que les médias insistent trop sur cet aspect, et pas assez sur ses morceaux, dont les thématiques vont bien au-delà des questions de genre.

Si elle évoque quelques « histoires personnelles », Backxwash explore aussi les recoins les plus sombres de la psyché, de la spiritualité, de la religion, voire la sorcellerie, avec une intensité et une agressivité qui tranchent net avec le rire contagieux qu’on entend ponctuellement au bout du fil.

Ses musiques vont dans le même sens. Si Backxwash appartient résolument à la mouvance rap, sa palette sonore puise abondamment dans la noirceur du goth et du métal, comme en témoignent ses échantillonnages de Black Sabbath, Venom, Mayhem, Led Zeppelin ou de métal chrétien. Cerise sur la gâteau : la pochette de son tout récent mini-album Stigmata la représente le visage ensanglanté, avec une couronne d’épines sur la tête.

Pas étonnant que les magazines métal spécialisés, comme l’américain Kerrang ! ou le britannique Hammer, lui aient déroulé le tapis rouge.

À la question « vous considérez-vous comme une chanteuse de métal ? », Backxwash éclate à nouveau de rire, puis répond simplement qu’elle est « vocaliste », ce qui peut parfois l’amener dans ces territoires hostiles.

De la Zambie à la Colombie-Britannique

De son vrai nom Ashanti Mutinta, Backxwash a vécu jusqu’à l’âge de 17 ans en Zambie. Elle découvre le rap à 9 ans par la chanson Mo Money Mo Problems, de Notorious B.I.G., puis commence à rapper à l’âge de 13 ans.

Mais sa famille, religieuse et conservatrice, désapprouve ce choix. À 17 ans, elle part rejoindre son grand frère et sa grande sœur qui vivent en Colombie-Britannique. Une façon de s’affranchir musicalement, de même que sur le plan personnel.

Si la question identitaire n’est pas à l’origine de cet exil, elle admet que c’était « une raison indirecte ».

Difficile, en effet, d’être ouvertement « trans » en Zambie. Elle n’y est d’ailleurs jamais retournée « parce que ce n’est pas sécuritaire » pour des gens comme elle.

Sa musique, en revanche, conserve des traces de ses origines. Sur God Has Nothing to Do with This..., Backxwash intègre notamment des échantillonnages de chants tribaux, de chorale zambienne et de chants de gorge en hommage à ses racines. « C’est ma façon de garder prise sur l’endroit d’où je viens », dit-elle, précisant néanmoins qu’elle se sent comme une apatride.

Arrivée au Canada, Ashanti délaisse complètement la musique. À 26 ans, après avoir fait sa transition, elle part s’installer à Montréal, où elle renoue avec son art. La ville a ses défauts, mais les esprits y sont ouverts et la scène queer y est active. C’est un point de chute idéal pour celle qui se fait désormais appeler Backxwash.

Ici, j’étais capable de m’exprimer de différentes façons, du point de vue identitaire, du point de vue musical. C’est quelque chose que je ne pouvais pas faire en Colombie-Britannique.

Backxwash

Elle lance un premier album (F. R. E. A. K. S) en 2018 et égrène depuis les offrandes musicales, offertes pour la plupart sur YouTube. À chaque nouveau mini-album, le son de la rappeuse s’alourdit et s’enfonce un peu plus dans la noirceur.

Le prix Polaris, accompagné d’une bourse de 50 000 $, lui permettra de poursuivre ses explorations sonores sans compromis. Entourée d’une équipe réduite (un ingénieur du son et un directeur artistique), Backxwash tient férocement à son indépendance créative et à l’aspect expérimental de son travail. Ça ne s’invente pas : son prochain album sera une « anthologie de l’horreur », avec des personnages « basés sur des sons ».

Aucun doute : en voilà une qu’on va suivre.

Pour consulter la chaîne YouTube de Backxwash