Sept ans après un premier album au succès mondial retentissant (qui l’a amené à collaborer avec Rihanna et Drake et à assurer le grand spectacle d’ouverture du Festival de jazz en 2014), Woodkid sort enfin son deuxième opus, S16. Sa pop électro orchestrale s’y déploie toujours de façon grandiose, mais il n’y cache pas sa vulnérabilité. Entrevue sur « l’acceptation de la fragilité ».

Vous gardez un bon souvenir de votre grand spectacle extérieur à Montréal en ouverture du Festival de jazz en 2014 ?

C’est de loin le concert où je me suis produit devant le plus de monde. Je me souviens qu’il s’était mis à faire beau après du mauvais temps. C’était dingue. Quel souvenir.

Woodkid au Festival de jazz de 2014
  • Woodkid lors du grand concert d’ouverture du Festival de jazz de 2014, à Montréal

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Woodkid lors du grand concert d’ouverture du Festival de jazz de 2014, à Montréal

  • La place des Festivals bondée pour le concert du musicien français, en juin 2014

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    La place des Festivals bondée pour le concert du musicien français, en juin 2014

  • La satisfaction pouvait se lire dans le regard de l’artiste. « C’était dingue. Quel souvenir », dit-il, six ans plus tard.

    PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

    La satisfaction pouvait se lire dans le regard de l’artiste. « C’était dingue. Quel souvenir », dit-il, six ans plus tard.

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Vous avez mis du temps avant de travailler sur votre deuxième album après l’immense succès du premier, The Golden Age. Shift est l’une des premières chansons que vous avez écrites après les attentats du Bataclan. Racontez-nous.

L’album ne traite pas de cela, mais cet attentat a démarré le moteur de l’album. Un moteur d’incompréhension, de remise en question, de fragilité, de colère. Pour la chanson Shift, j’avais ce mantra en tête : What Have You Done, What Have You Done… Je ne savais pas réellement à qui je parlais ou si je me parlais à moi-même. Ou si je parlais de relations amoureuses ou des gouvernements…

Chose certaine, il est aussi question du mythe de David et Goliath sur votre album. En cette période de pandémie, il est difficile de ne pas se sentir comme David.

Il y a quelque chose de très contemporain à se sentir fragile au milieu des forces à l’œuvre autour de nous. […] Quand on voit la montée de l’extrême droite dans le monde, le défi écologique, c’est très difficile de ne pas se sentir impuissant. C’est un album d’utopie et de dystopie à la fois. Nous avons une fascination pour les forces de l’ordre, comme Trump. Une fascination ambiguë que nous avons aussi pour la culture Kardashian et les réseaux sociaux. […] Sommes-nous au pic ou à l’enterrement du capitalisme ?

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N’empêche, le succès de votre premier album devrait vous faire sentir comme Goliath ?

J’aime dire que si le premier album était un blockbuster hollywoodien, celui-ci est un thriller de science-fiction… qui n’est pas tant de la fiction. C’est un album qui est moins nostalgique, plus contemporain. Je parle de moi à l’époque où je le chante, sans me tourner vers le passé. C’est un album de fragilité, car la fragilité arrive naturellement après un grand succès. Des années de tournée amènent aussi des remises en question. […] À notre époque, beaucoup de gens font un grand inventaire de l’intime sur les questions d’identité, de genre, de sexualité, de racisme, de misogynie, d’homophobie… Les kids font très vite ce travail de déconstruction et c’est très beau à voir.

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Vous avez collaboré avec de grands noms de la danse [Sidi Larbi Cherkaoui] comme de la mode [Nicolas Ghesquière de Louis Vuitton]. Xavier Dolan et Steven Spielberg ont choisi vos chansons pour leurs films. Quel est votre rapport à la célébrité ?

R Je ne me considère pas comme célèbre. Surtout que j’ai côtoyé des gens célèbres qui ne peuvent même pas sortir dans la rue. Ma vie et mon quotidien ne sont pas complètement transformés. Je pense que la célébrité est aussi un choix… Aujourd’hui, il faut travailler très dur pour être entendus. Mais pour ma part, j’ai besoin d’ombre aussi. Le temps est un allié incroyable. Prendre son temps et prendre le temps de ne pas courir après la célébrité est un risque, d’un point de vue commercial. Mais c’est bénéfique artistiquement. Or, nous sommes dans un système où l’on nous dit de générer des commentaires, du contenu, de l’engagement…

Bien justement, vous avez eu le temps d’enregistrer S16 partout dans le monde [Japon, Islande, Los Angeles], dans plusieurs studios mythiques [dont Abbey Road]. Racontez-nous comment ça s’est passé…

J’ai commencé à travailler avec Son Lux [Ryan Lott] et ensuite avec Sammy Herbert, une arrangeuse londonienne extraordinaire. Pour les arrangements d’orchestre, on voulait des sons très précis, plus contemporains que classiques. Il y a deux chansons, Reactor et la dernière, Minus Sixty One, où figure la chorale de Tokyo Suginami, très connue au Japon. […] Pour moi, il était important que l’album ne se termine pas avec ma voix puisqu’il parle de la beauté du collectif et qu’il constitue un aveu de faiblesse.

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Quand êtes-vous allés à Tokyo ?

En décembre ! La pandémie est arrivée juste après, donc cela a été une chance folle. J’ai l’impression que cet album, dans sa forme, est un témoignage de quelque chose qui n’est plus possible aujourd’hui.

Parlez-nous de la ballade In Your Likeness…

Très vite, il y a eu les paroles : I know, I’m not made in your likeness/You’re not made for my darkness. Ça décrit l’idée d’une relation impossible. D’un différend trop fort sur la conception de la vie. C’est ma chanson préférée de l’album. Elle est hors format et puissante émotionnellement.

Avez-vous pensé beaucoup à la scène en concevant l’album ?

R Tout le temps. Je ne savais pas vraiment ce que c’était en faisant mon premier album. Après les années de tournée, je sais que la musique a besoin de silence et de ruptures. En studio, il arrive souvent qu’on bloque et qu’il faille trouver une clé. Souvent, je ferme les yeux et j’imagine être sur scène.

Comment combattez-vous l’envie d’être sur scène alors que c’est impossible ?

J’ai attendu sept ans avant de faire cet album. Je sais attendre.

Un artiste polyvalent

Avant que sa carrière d’auteur-compositeur-interprète prenne son envol, Woodkid (né Yoann Lemoine) s’est fait connaître comme réalisateur de clips. Notamment pour sa compatriote Yelle et pour Moby, mais aussi pour Katy Perry (Teenage Dream) et Taylor Swift (Back To December). On lui doit aussi le clip de Take Care, de Drake et Rihanna, et, plus récemment celui de Sign of the Times, d’Harry Styles. Il a aussi collaboré plusieurs fois avec Lana Del Rey.

IMAGE FOURNIE PAR UNIVERSAL

Pochette de l’album S16

Pop orchestrale

Woodkid

S16

Universal