Le Metropolitan Opera de New York a réussi à tenir son gala annuel samedi : quatre heures de performances parfois époustouflantes et toujours sympathiques, livrées en direct des quatre coins du monde, dans une qualité sonore à tout le moins variable.

Chez nous, les musiciens commencent enfin à remonter dans le filet de survie, après être passés à travers ses mailles pendant plusieurs semaines. Plusieurs se sont mobilisés, pour faire entendre l’urgence et l’absurdité de la situation : pour certains pigistes, trois élèves gardés en télé-enseignement, soit moins de 200 $ de revenus par semaine, pouvaient bloquer l’accès à la Prestation canadienne d’urgence (PCU). On a rajusté les critères ; soupir de soulagement.

Et les instruments ? Certains les ont déposés, décidant sagement d’accorder une pause à leur corps fatigué, maintenu trop longtemps au seuil d’une blessure de travail. Grand bien leur fasse !

D’autres ont apprivoisé, en accéléré, des outils numériques permettant de devenir son propre partenaire de jeu. Vivant avec un musicien qui s’est démultiplié jusqu’à neuf fois pour créer des versions drôles ou émouvantes de plusieurs pièces, j’ai vu de près ce bonheur presque enfantin de jouer, doublé d’un besoin de communiquer.

Les orchestres ont créé de beaux moments, quelques dizaines de leurs musiciens se retrouvant le temps d’un Boléro de Ravel raccourci (Orchestre national de France), ou des Gens de mon pays, de Gilles Vigneault (Orchestre Métropolitain). De tout cela, on commence à voir émerger des œuvres qui vont rester en mémoire, parce qu’elles sont non seulement étonnamment fortes sur le plan musical, mais surtout parce que le fond et la forme communiqueront, pour toujours, quelque chose de cette période inédite.

Le pince-sans-rire

Peter Whelan est un Irlandais surdoué qui dirige et joue des claviers et du basson. Ici, il exagère de talent en chantant le solo d’un extrait de la Messe en si mineur de Bach, en plus de jouer toutes les parties instrumentales. C’est visuellement tout simple, mais Whelan a pris soin de porter une couleur de chandail différente pour enregistrer chaque partie, puis d’enfiler son kit chic pour se transformer en chanteur. C’est dans ce rôle de soliste qu’il manipule, en plus, une tour de Jenga en péril ; commentaire ironique parfait sur le texte sacré : « Toi seul es le Très-Haut ».

Tout dans ce numéro dit le besoin de jouer ensemble, la nécessité qui pousse l’invention.

Si tout va bien, Peter Whelan sera à Montréal en novembre pour jouer et diriger un programme avec l’orchestre baroque Arion. On a déjà hâte.

Sublime vidéo

Un des plus puissants exemples vient de Prague. On le doit au Collegium 1704, dirigé par Václav Luks. La musique est du compositeur baroque tchèque Jan Dismas Zelenka.

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La performance a été enregistrée et filmée dans la lumière sublime d’une église dépouillée du XIVe siècle, maintenant intégrée au centre d’art Crossroads de Prague. La beauté des lieux, la distance entre les interprètes, leur union dans une musique poignante, les masques qu’ils portent, tout nous dit qu’on peut être à la fois seule et ensemble. Les mots latins ne sont pas à leur plus clair (ils sont… masqués !), mais ils évoquent le tombeau scellé par une roche, après le dépôt du corps de Jésus : mort et confinement, thèmes de circonstance…

J’ai échangé par courriel avec Katarina Korlo, chargée de projet chez Collegium 1704. Elle est la femme du réalisateur et photographe Topka Korlo, qui signe cette vidéo. L’idée est née alors que son mari était retenu à Prague, à la suite de l’annulation d’autres projets. Katarina m’a assurée que la musique a bel et bien été enregistrée dans cette mise en scène, avec des masques : aucun trucage. Deux autres vidéos tournées en même temps, sur des musiques de Monteverdi, sont aussi remarquables.

Même si les musiciens découvrent avec étonnement qu’ils peuvent jouer en distanciation, ce ne sera pas pour autant la solution pour une reprise rapide des concerts. En République tchèque, on autorise la reprise d’activités culturelles à partir de juin, mais seulement pour moins de 50 spectateurs, ce qui n’est absolument pas viable pour une formation de la taille du Collegium 1704. Ici, on se demande de plus en plus quand on reverra des concerts en salle. 

La Guilde des musiciens lance un groupe de discussion pour réfléchir à l’après-crise. Son président, Luc Fortin, me dit que plusieurs salles sont déjà à l’heure actuelle assez bien équipées pour la captation sonore et visuelle : il semble certain qu’une partie de la solution passera par la retransmission de concerts, mais dans quel modèle d’affaires ? Télé-Québec semble ouverte à s’impliquer, on parle d’une plateforme payante, mais à ce moment précis où les créateurs en manque nous abreuvent généreusement de productions inventives et… gratuites, le virage sera délicat à négocier.