Les enfants ont ce superpouvoir : convoquer des amis imaginaires pour apprivoiser l’inconnu ou, simplement, partager leurs jeux.

Pour l’humain adulte, on évoque souvent le chien et le livre comme meilleurs amis : je vous vois, chanceux, un livre à la main et l’autre sur le col de pitou, assoupi à vos côtés.

Dans votre décor, il y a peut-être aussi de la musique : on a tous nos habitudes, nos pantoufles sonores réconfortantes.

Mais on peut aussi faire de nouvelles rencontres, ajouter des amis imaginaires à sa vie, par la musique. Tout simplement parce que dans la musique, il y a des échanges : du dialogue, des arguments, des tensions et des apaisements.

Alors voici quelques pistes pour recréer, grâce à vos oreilles, des morceaux de vie sociale portés disparus en ces temps d’isolement.

Pour remplacer un souper entre amis

Extrait du Quatuor avec piano op. 15 de Gabriel Fauré

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Il y a un départ passionné et fougueux, un sujet de conversation qui mobilise tout le monde. Puis des opinions plus nuancées, des visions différentes. Quelqu’un de plus volubile (le piano) fait le liant autour de la table, parfois en prenant beaucoup de place, ou alors plus discrètement, pendant que le violon et le violoncelle échangent des confidences.

À vous d’inventer la suite du programme : pendant cette demi-heure de musique, vous devenez le cinquième convive, saisi par une ligne étonnante, vous emballant, souriant quand tout déboule au deuxième mouvement, vous émouvant, vous ennuyant peut-être pendant un moment ; ça arrive dans les meilleurs soupers.

L’arrière-plan biographique ouvre des pistes à votre imagination : Gabriel Fauré, la jeune trentaine, a courtisé avec détermination la fille de Pauline Viardot, cantatrice et compositrice remarquable de l’époque. Les fiançailles ont été rompues par la jeune femme et Fauré a connu un spleen plein de remous.

Dans le même genre, la musique de chambre avec piano de Robert Schumann ou le magnifique trio avec piano de sa femme, Clara Schumann.

Studio de yoga fermé

Extrait du Requiem de Gabriel Fauré

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Oui, un requiem, c’est une messe des morts : certains requiem appuient fort sur le tragique, mais pas celui de Fauré : arrivé à maturité et ayant connu le succès, il désirait précisément apporter une variation par rapport aux grands requiem romantiques et opératiques.

Comme un massage intérieur, sans éviter les zones sensibles : il y a des moments où on se retrouve à fleur de peau, mais pas cloué au sol. Il y a dans cette musique une gravité jamais désespérée et plusieurs montées de lumière qui n’ont rien de triomphaliste : juste la beauté d’un nuage qui s’ouvre brièvement pour laisser passer un rayon.

En concert, c’est une de ces œuvres qui provoquent un frisson collectif : à la fin, on a tous le même sourire un peu hébété et ému, d’autant plus ému qu’on reconnaît le même état chez son voisin.

Mais même isolé chez vous, vous voilà bien entouré, avec un chœur et un orchestre.

Effet du même genre : le Requiem de Maurice Duruflé. Les deux œuvres étaient d’ailleurs au programme des Violons du Roy, début avril…

La célébration du printemps suspendue

La neige va traîner encore longtemps dans les sous-bois, le fond de l’air va rester frais jusqu’en mai. Mais le printemps, c’est d’abord une affaire de lumière et dans ce cas, le compte est bon. Sauf que l’ambiance est plus au confinement qu’à la terrasse.

Récemment, un après-midi de soleil m’a donné envie de réécouter, en marchant dehors, une œuvre de Steve Reich des années 80 : Tehillim. Après l’avoir entendue par Reich et ses musiciens en concert à Montréal, je l’avais beaucoup écoutée, puis oubliée pendant longtemps.

Extrait de Tehillim de Steve Reich

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C’est hyper rythmé tout en restant en apesanteur. Reich a suivi les accents des mots hébreux qu’il met en musique, créant une rythmique irrégulière mais jouissive. Les voix de sopranos flottent et rebondissent sur des trames de percussion : une musique euphorisante pour avancer, pour bouger.

Championnats et matchs sportifs annulés

Inconsolables de l’annulation des Mondiaux de patinage artistique, vous êtes en manque de prouesses ? La virtuosité peut ramener chez vous les palpitations manquantes : les risques de chute et de dérapage sont aussi nombreux que les moments spectaculaires dans les grands concertos romantiques. Un de mes préférés : le Concerto pour violon de Mendelssohn. À l’époque du Conservatoire, j’encourageais fiévreusement mes amis violonistes qui le traversaient pour la première fois en concert, voyant venir tous les périls, comme on anticipe ceux qui guettent notre patineur ou notre gymnaste préféré.

Bien des pièces symphoniques pourraient évoquer la fièvre d’un match : ouvertures d’opéra ou poèmes symphoniques romantiques, mais si vous êtes sérieusement en manque de commentaire sportif, allons-y pour ce vieux morceau d’anthologie signé P.D.Q. Bach, qu’on trouve encore facilement sur internet :

Extrait de New horizon in music appreciation de P.D.Q Bach

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La Philarmonique de Berlin ouverte

Ce matin, j’ai vidé mon lave-vaisselle à la Philharmonique de Berlin. Jusqu’au 30 mars, vous pouvez y entrer gratuitement pour un mois. J’avoue que si j’avais des enfants de 3 et 5 ans dans la cuisine, cette téléportation aurait été plus difficile. J’entends les jeunes parents soupirer quand on recommande des livres, des films, des visites virtuelles de musées ou des concerts en ligne ; je pense à vous avec respect.

Et plus près de chez nous, l’OSM a annoncé la diffusion de concerts gratuits. Autant en profiter.