Maestria, un récit symphonique d'une violoniste et son chirurgien, voilà le titre du spectacle créé par la violoniste professionnelle Anne Robert et par le Dr Alain Gagnon, chirurgien plasticien au passé de... pianiste. Deux musiciens dont la rencontre a été provoquée par le cancer.

L'histoire débute en 2009. La violoniste montréalaise Anne Robert apprend qu'elle a un cancer du sein. Après des traitements de radiothérapie et une mastectomie partielle, son cancer disparaît. Mais l'année suivante, elle reçoit une autre mauvaise nouvelle: elle est porteuse d'une mutation génétique qui la prédispose à d'autres cancers.

C'était quelques années avant la sortie d'Angelina Jolie, elle aussi porteuse de cette mutation encore peu connue, qui a fait état de sa double mastectomie préventive en 2013 dans les pages du New York Times.

Anne Robert est démolie. Si elle ne fait rien, le risque d'avoir de nouveaux cancers est de plus de 85 %. Celle qui a été premier violon de l'OSM pendant 12 ans et qui enseigne au Conservatoire de musique de Montréal interrompt concerts et tournées. «C'était une période de flottement et d'angoisse», nous dit la musicienne, qui dit avoir beaucoup réfléchi «au sens de la vie».

Son oncologue l'envoie en consultation chez le chirurgien plasticien du CHUM, le docteur Alain Gagnon, pour discuter des options qui s'offrent à elle.

«Je me souviens d'avoir vu cette femme qui lisait une partition musicale sur sa chaise, raconte le DGagnon, qui pratiquait à ce moment à l'hôpital Notre-Dame. Quand j'ai regardé sa fiche, j'ai fait le lien. Je lui ai dit : vous êtes Anne Robert la violoniste? Je la connaissais de nom. On s'est mis à parler de musique pendant une quinzaine de minutes avant de commencer la consultation.»

C'est qu'avant d'entreprendre ses études en médecine, Alain Gagnon se destinait à une carrière musicale. Après l'école secondaire Pierre-Laporte, où il était inscrit dans le programme musical, il a fait son cégep à l'école Vincent-D'Indy, puis ses études universitaires à l'UQAM en interprétation. Il se produit même avec l'orchestre I Musici. Mais son intérêt pour la biologie et l'anatomie prend le dessus...

Anne Robert décide donc d'aller de l'avant avec son opération: une double mastectomie combinée à une ovariectomie. Avec une reconstruction mammaire.

Mais au lieu des implants, elle opte pour une reconstruction autogène, qui consiste à utiliser les tissus du patient pour reformer les seins. «On transfère une portion de l'abdomen qui est vascularisée, et on rebranche les vaisseaux à la hauteur de la poitrine, près d'une source de sang», explique le Dr Gagnon.

Quand Anne Robert a su que son chirurgien avait un passé de musicien, ça l'a tout de suite rassurée.

«Je me suis dit, il doit avoir des nerfs d'acier, une capacité de concentration et d'improvisation et une très bonne dextérité», se souvient-elle. L'opération est réussie. De son lit d'hôpital, Anne Robert lui tend une perche. 

«On devrait jouer ensemble un jour!» Le médecin lui répond: «On jouera la sonate Le printemps de Beethoven.»

Quelques mois plus tard, ils tiennent parole. La rencontre a lieu avec leurs deux familles, chez le DGagnon. Anne Robert apporte son Carlo Antonio Testore 1738. Le médecin se met au piano.

«Il y a eu ce jour-là une connexion musicale extraordinaire, nous dit Anne Robert. Quelque chose d'unique. Une connivence profonde.» Dans les semaines et les mois qui ont suivi, les deux musiciens donnent des concerts au Conservatoire de musique de Montréal, mais aussi dans quelques villes européennes. L'idée d'un spectacle sur l'épreuve vécue par Anne prend forme. Un disque et un livre sont publiés.

À partir des émotions qu'elle a vécues pendant cette période, elle a fait des choix musicaux. Pour traduire son angoisse, elle choisit une sonate de Janacek; pour parler du sentiment de solitude, elle opte pour la partita n2 de Bach; pour évoquer sa souffrance, elle se tourne vers Astor Piazzolla. Charles Gounod célèbre son retour à la vie et Beethoven, avec sa sonate Le printemps, sa renaissance!

Pour ce qui est du sentiment d'abandon, elle donne carte blanche à son médecin. «J'ai choisi de faire une pièce improvisée, nous explique-t-il. Une improvisation composée à partir du prénom de "Anne" (la sol sol mi). Une chirurgie, c'est aussi une improvisation, illustre le médecin, qui répond au surnom de The Artist. On sait où on s'en va, mais on a toujours des surprises in vivo...»

Maestria, un récit symphonique d'une violoniste et son chirurgien, mis en scène par François Racine, raconte cette histoire. Les interprètes ponctuent le concert de commentaires et réflexions. Des projections de scènes reconstituant l'épreuve d'Anne ont été ajoutées. Le concert vise à soutenir la prévention et le traitement des cancers héréditaires.

«Ça s'appelle Maestria, parce qu'on n'est pas maître de nos épreuves, soutient Anne Robert, mais on peut être maître de la manière dont on les vit. Avec la musique, il y a une profondeur extraordinaire, on dirait que les mots deviennent malhabiles, nous limitent. Elle nous permet de traduire des émotions et donner de l'espoir aux gens qui vivent ces situations, de les aider à lâcher prise, à faire des deuils.»

Maestria sera présenté le 3 mai à la salle Pierre-Mercure du centre Pierre-Péladeau. Une tournée suivra.