Dans l'industrie de la musique américaine, le nom du Montréalais Willo Perron est bien connu. Le directeur créatif installé à Los Angeles, lauréat d'un Grammy pour la conception visuelle du plus récent album de St. Vincent, a déjà collaboré avec Jay-Z, Kanye West et Rihanna. Rien que ça.

Willo Perron, ça ne vous dit rien? Peut-être avez-vous déjà entendu parler de son frère, Zébulon Perron, designer montréalais connu notamment pour ses designs de restaurants (Montréal Plaza, Café Parvis, Ibérica, pour ne nommer que ceux-là).

Les deux frangins ont grandi à Montréal au sein d'une famille d'artistes; l'aîné y est resté, et le benjamin s'est exilé il y a un moment à Los Angeles où, avec sa boîte Willo Perron & Associates, il collabore depuis une dizaine d'années en tant que directeur créatif avec artistes et entreprises. Ses réalisations, diverses, vont de la scénographie de concerts à la conception visuelle d'albums, de vidéos et de campagnes de promotion, en passant par le design de boutiques.

Au gala des Grammy, le mois dernier, il a remporté le prix du Best Recording Package pour l'album Masseduction de St. Vincent, une artiste avec qui il collabore depuis quelques années.

«Elle est intelligente, elle a un très bon sens de l'humour, du cran... C'est idéal de travailler avec elle», explique le directeur créatif, joint par téléphone à Los Angeles.

Quant à son prix, cependant, il n'en fait pas grand cas.

«Pour être honnête, je ne suis même pas allé au gala. Évidemment, c'est bien d'être reconnu pour son travail, mais pour moi, juger des oeuvres artistiques, émotionnelles dans une compétition, c'est un peu bizarre. À vrai dire, je suis un peu ambivalent: c'est cool de gagner, mais je ne suis pas vraiment d'accord avec cette institution.»

De Montréal à L.A.

Willo a vécu dans la métropole jusqu'à ses 25 ans. Autodidacte, il fréquente la scène de skate locale, conçoit des dépliants pour des concerts, crée des vêtements pour des marques de snowboards et de clubwear, ouvre un magasin de disques. «Ce sont finalement diverses composantes de la culture dont j'étais imprégné, dans laquelle j'avais grandi et qui me branchait», juge-t-il.

Ensuite, il bourlingue, passe par Los Angeles quelques années, une ville qu'il n'apprécie guère au départ, puis par New York, où il travaille pour la maison de disques hip-hop Rawkus. De retour à Montréal au début des années 2000, il rencontre Dov Charney, le fondateur d'American Apparel, un Montréalais lui aussi, qui s'apprête à ouvrir sa première boutique ici.

Willo et son frère Zébulon font équipe pour créer l'environnement visuel de la boutique montréalaise, inspiré notamment par le design italien postmoderne, avec utilisation de matériaux industriels, qui devient en quelque sorte le porte-étendard des centaines d'autres boutiques que Willo aide ensuite à ouvrir un peu partout dans le monde.

De son frère, Willo Perron dit: «Zébulon et moi, on fait des choses très différentes, de façons complètement différentes. Il est très précis, je suis plutôt bold, mais, au final, on s'inspire beaucoup mutuellement, même si, parfois, l'herbe a l'air plus verte de l'autre côté de la clôture!»

Après avoir voyagé un peu partout dans le monde, il retourne à Los Angeles pour prendre des vacances. Il n'en est jamais reparti.

La naissance d'une profession

Après un bref passage chez Apple - le monde «corporatif» n'est pas trop son style -, Willo Perron fait la connaissance vers 2007 de Kanye West. Sa première tâche? Refaire sa garde-robe! «Un de nos premiers sujets de conversation tournait autour des vêtements. Il m'a invité à venir à sa maison à L.A., il m'a montré sa garde-robe et m'a dit: "Sors tout ce que tu n'aimes pas!" Alors, j'ai commencé à éventrer sa garde-robe!», se rappelle-t-il en riant.

Peu après, il commence à travailler avec la garde rapprochée de West pour l'album 808s and Heartbreak et la tournée Glow in the Dark, en 2008. «Au début, tout avait l'air un peu disloqué. La campagne promo avait l'air différente du site web, qui avait l'air différent de la vidéo... Kanye a été l'un des premiers à adopter cette approche plus holistique dans le monde de la musique», note-t-il.

Cette rencontre marque le début de sa carrière comme directeur créatif dans le domaine musical.

Image fournie par Loma Vista Recordings

Pochette de l'album Masseduction

«Avant, en musique, c'était simple; les artistes faisaient un album de temps en temps, quelques vidéos, une tournée. Puis, les albums sont devenus plus fréquents, les réseaux sociaux sont arrivés, les musiciens sont devenus des entrepreneurs. Tout à coup, toute l'esthétique visuelle entourant une proposition artistique est devenue tellement plus importante. C'est à ce moment que les directeurs créatifs sont apparus en musique.»

Depuis, il a travaillé avec de grands noms de la musique américaine, notamment Jay-Z, pour l'album et la campagne promo 4:44, ainsi que la tournée qui a suivi. Son travail a beaucoup consisté à enlever des couches, à dépouiller la proposition. «Au début, nous étions dans quelque chose de très didactique, où tout était expliqué. Puis, plus on avançait, plus on allait vers une proposition très dépouillée, très simple.»

S'il a créé des mises en scène spectaculaires, utilisant les projections 3D ou la pyrotechnie, notamment pour Drake, il est allé dans une tout autre direction pour la tournée High on Hope de Florence + The Machine - qui sera de passage à Montréal le 28 mai.

«Chez Florence, il y a quelque chose à propos de son énergie, de ses mouvements, elle est à la fois vent, eau, feu... Il n'était donc pas question de sortir l'artillerie lourde, la projection et les feux d'artifice, mais le défi était aussi de ne pas tomber dans le vintage et d'être pris dans une sorte de pastiche rétro», note-t-il.

La teneur de son travail, finalement, va «changer dramatiquement selon les personnes», laisse-t-il entendre. «L'idée n'est pas tant de créer une image pour un album, mais de partir de la personne; qu'est-ce que cette personne essaie de dire, visuellement? De là, on peut commencer une conversation esthétique en se partageant films, images et vidéos.»

Image fournie par Loma Vista Recordings

Intérieur de la pochette de l'album Masseduction