Maybe Watson est un rappeur surréaliste. Ses textes sont de savants exercices de libre association relevant d’une riche déconstruction des frontières entre le rêve et la réalité. D’ailleurs, ce fan invétéré du jeu Pokémon Go, un divertissement phare de la réalité augmentée, donne l’impression de flotter dans un autre monde, où il rappe comme il respire. Les univers parallèles qu’il dépeint, dirait-on, sont devenus tout ce qui compte pour lui ; il se lève le matin et il freestyle, c’est-à-dire qu’il improvise du rap, et son style, sans aucun doute, ne pourrait pas être mieux qualifié que par ce mot, « liberté ».

Le qualificatif « absurde » fréquemment utilisé pour décrire ses textes, mais réducteur à ses yeux, est le même qu’on prend souvent pour mettre tout le travail des Trois Accords dans le même sac, lui ai-je soumis, autour d’une viennoiserie dans une chic boulangerie du Plateau Mont-Royal où il m’avait donné rendez-vous. On qualifie ainsi ce genre de poésie pour l’apprivoiser, bien sûr, pour la regarder de haut et l’encadrer artificiellement. C’est un réflexe facile, qui invite au petit sourire en coin, et non au respect de l’œuvre et de l’artiste, alors que de discuter sérieusement pendant une heure avec Maybe Watson m’a fait entrer dans un univers certes parallèle, mais pas déconnecté, un monde dans lequel le passé touche enfin au futur et où le sens des paroles, pour reprendre le titre du dernier disque de son groupe, Alaclair Ensemble, n’est que très rarement celui qu’on pense.

Je lui évoquais quelque vers de son nouvel album solo lancé hier, Enter the Dance, et il ne pouvait s’empêcher de réciter la suite du texte en l’annotant en temps réel ; l’automatisme du rap se poursuivait, là, entre deux gorgées d’allongé. « Appelle-moi André Creton, André Breton Nadja dans les surréalistes. » Ça va vite, j’avais d’abord manqué la référence au titre de l’œuvre de 1928. Il se dit également très influencé par les dadaïstes, dont les querelles intestines, seulement quelques années après leur fondation, trouvent un écho remarquable sur l’album, où Watson affirme avoir mis l’époque des « beefs » derrière lui.

Ces rivalités récurrentes et souvent agaçantes dans le hip-hop font déborder la compétitivité du milieu, autrement centrale, dans une animosité réelle et destructrice, et ça ne l’intéresse plus.

Pas besoin de fouiller très longtemps pour trouver cela dans l’évolution de Dada vers sa suite surréaliste, par où Breton semble avoir voulu rompre avec un mouvement qui s’obstinait à vouloir courir après sa propre queue.

Au début de la pièce ZO2S, dont le titre réfère à une marque de chaussures, le rappeur affirme sans broncher que « la solution, c’est l’extrême centre » ! On entend ensuite les rires gras du coréalisateur de l’album, Claude Bégin. Difficile de ne pas penser aux travaux du philosophe Alain Deneault vis-à-vis de la médiocratie ambiante, par où nos vies sont polluées par cette impression insistante qui veut que pour réussir, il faille être le plus moyen possible, ni ceci ni cela, un peu de tout et rien en même temps. Les gestionnaires du monde entier semblent effectivement souvent être ceux qui ne font pas de vagues, en se faufilant jusqu’au sommet, en ne faisant rien de reprochable, mais en ne faisant rien d’exceptionnel non plus. Soit. Mais cet extrême centre peut aussi être vu comme quelque chose de rassembleur, me souligne Watson. Il y a quelque chose de ridicule et d’immobiliste dans l’idée de miser sur le milieu en toutes choses, bien sûr, mais la nécessité de cette posture semble tout de même difficile à évacuer, dans certaines circonstances. En affirmant que c’est la solution et en riant tout de suite après, on arrive à quelque chose de probe, dans l’incertitude ironique même. Permettez-moi de rêver à un débat entre le rappeur Watson et le philosophe Deneault dans quelque émission de variétés télé.

Tout se passe comme si, pour l’artiste de 37 ans, au lieu de la gauche et de la droite, il fallait proposer non pas le plat compromis, mais justement un changement complet de paradigme.

Par exemple : ce n’est pas lui qui dépense l’argent, c’est l’argent qui le dépense, rappe-t-il dans la pièce Money Spend Me montrant intelligemment l’envers des choses néolibérales.

Les rappeurs vieillissent rarement bien. Le hip-hop est fondamentalement un art de la jeunesse, de l’enthousiasme et de l’émerveillement, par où il devient possible de faire quelque chose à partir de rien. Maybe Watson, d’un âge vénérable pour le milieu, semble avoir su garder l’âme de la jeunesse, cette ouverture fascinée au monde, qui est à la source de la philosophie elle-même, selon les Grecs anciens. Il arrive, avec l’aide de ses deux réalisateurs, Bégin et Fruits, à proposer des pièces à la fois fraîches et old school, comme Koga’s Trap dont les sonorités ne sont pas sans rappeler les instrumentations de DJ Premier, réalisateur du groupe Gang Starr.

En quittant la boulangerie, le rappeur se dirigeait vers le restaurant Mousso, dont le propriétaire, petit-fils du peintre Jean-Paul Mousseau, est un ancien collègue artistique. Ça m’a fait penser au fait que cet album aurait pu s’intituler Place à la magie !, en référence au manifeste automatiste Refus global signé par le peintre, dont ce disque épouse brillamment l’esprit.

IMAGE FOURNIE PAR COYOTE RECORDS

Enter the Dance, de Maybe Watson

Rap. Enter the Dance. Maybe Watson. Coyote Records. Sortie vendredi