Le titre du nouvel album solo de Thom Yorke provient de son intérêt marqué, voire obsessionnel pour les propriétés oniriques du sommeil. Cette propension au rêve, a-t-il confié en entrevue, l’aurait mené à lire l’essai Why We Sleep de Matthew Walker et à se pencher sur le concept « animus et anima » qu’élabora le fondateur de la psychologie analytique, Carl Jung (1875-1961).

Plus précisément, l’anima constitue l’ensemble des qualités psychologiques féminines inconscientes chez un homme et l’animus, les qualités masculines chez une femme. Conformément à la théorie jungienne, l’anima et l’animus se manifestent au sein des rêves et produisent un effet sur les attitudes et les interactions d’un être humain avec le sexe opposé. Carl Jung considérait en outre le « processus anima » comme l’une des sources du pouvoir créateur.

Regardez une entrevue de Thom Yorke avec Zane Lowe (en anglais)

Voilà qui sied parfaitement à Thom Yorke, qui a créé l’opus Anima au terme d’une période trouble, marquée par l’angoisse, la paranoïa, les blessures de l’âme, les douleurs et les bienfaits de l’amour, l’humour absurde, l’autodérision et autres états psychologiques. On comprendra que l’environnement sonore choisi pour exprimer tout ça se veut dystopique.

Plus précisément, Thom Yorke et Nigel Godrich (qui est à Radiohead ce que George Martin fut aux Beatles) ont façonné Anima à partir d’enregistrements de concerts en solo (notamment lors de la tournée de Tomorrow’s Modern Boxes) et de séances de travail en studio. Ils se sont partagé le travail d’assemblage et de réalisation des pistes brutes, qui ont progressivement acquis une vraie cohésion. Les deux complices se seraient aussi inspirés des travaux récents de Flying Lotus, avec qui Thom Yorke a déjà collaboré.

Bien qu’elle implique le chant et le jeu instrumental, l’esthétique électro (tech-house, techno, postdubstep, etc.) domine les neuf titres au programme : la plus courte des pièces dure 3 minutes 45 secondes ; la plus longue, 7 minutes 6 secondes. Six d’entre elles dépassent les 5 minutes.

À la fois conceptuel et sensuel, cet opus ne souscrit pas aux formes admises de la chanson pop, mais n’est pas avare de mélodies inspirées pour autant.

Ainsi, de nouveaux sons étoffent la facture solo de Thom Yorke, plusieurs sédiments de synthés enrichissent cet espace de création, les fréquences ambient s’y allongent doucement, des lignes de crépitement s’y déploient, les moquettes d’harmonies modernes construites s’y déroulent, des voix humaines s’y superposent, des processus de déphasage y sont aussi repérables.

Quant aux figures rythmiques, elles varient d’une chanson à l’autre, soit de la métrique binaire aux mesures composées – pour certaines pièces, d’ailleurs, on a mis à contribution les batteurs Philip Selway (Radiohead) et Joey Waronker (Atoms for Peace, Beck, etc.).

La sortie d’Anima s’accompagne d’un court métrage signé Paul Thomas Anderson, pour qui une autre « tête de radio », Jonny Greenwood, a signé quelques bandes originales.

Dans l’ensemble, le résultat est saisissant. Affirmons sans ambages que le projet Anima est le plus abouti de tous ceux menés par Thom Yorke hors Radiohead.

IMAGE FOURNIE PAR XL RECORDINGS

Anima, de Thom Yorke

★★★★

INDIETRONIQUE. Anima. Thom Yorke. XL Recordings.

Écoutez des extraits d’Anima sur SoundCloud