(Paris) C’est un feuilleton digne d’une campagne présidentielle, avec son dirigeant sortant, ses favoris, ses rebondissements. Mais c’est dans les coulisses de l’Opéra de Paris — et les couloirs de la présidence française — que se déroule la bataille pour la direction de la vénérable institution lyrique.

Après neuf mois d’intenses spéculations, l’heureux élu, tellement insaisissable qu’il commence à ressembler un peu au fantôme de l’Opéra, sera dévoilé « sous peu », affirmait mardi le ministre de la Culture Franck Riester.

Pour une maison qui rivalise avec la Scala de Milan et le Met à New York, pourvoir le poste, occupé jusqu’en 2021 par Stéphane Lissner, est une affaire sensible : il revient à Emmanuel Macron de décider.

L’agenda chargé du président est avancé pour justifier le retard pris, alors qu’une courte liste officieuse circule depuis fin mars.

« C’est tout à son honneur de prendre le temps nécessaire pour prendre la meilleure décision possible », a estimé le ministre de la Culture devant quelques journalistes.

L’attente interminable a provoqué des titres alarmistes dans les pages culture de la presse pour se demander si le prestigieux Opéra de Paris allait avoir une programmation pour la saison 2021-2022, voire carrément si, en forçant le trait, il n’allait pas fermer ses portes temporairement.

Chaises musicales

Les spécialistes de l’opéra le martèlent : dans les grandes maisons, la programmation se fait trois, voire quatre ans à l’avance, notamment pour « bloquer » les grands metteurs en scène pour de nouvelles productions, les poids lourds du chant lyrique, mais aussi les stars montantes. Le Met et le Bolchoï ont déjà bouclé leur saison 2021-2022.

Mais d’autres considérations entrent en jeu : « la grande boutique » comme la surnommait Verdi, institution qui fête cette année ses 350 ans, doit se réformer en raison d’un contexte économique compliqué et va se doter d’une troisième scène, en plus de Garnier et Bastille.

Pour une « maison exceptionnelle qui attire tous les regards », subventionnée à hauteur de 95 millions d’euros par l’État, il ne s’agit pas d’une « petite décision », rappelle le ministre de la Culture.

La saga commence à l’été 2018 lorsque la ministre de l’époque, Françoise Nyssen, a fait comprendre à Stéphane Lissner, en poste depuis 2014, que son mandat ne serait pas renouvelé, car il aura dépassé la limite d’âge (67 ans) en 2021.

Les spéculations vont alors bon train. Nommera-t-on la première directrice de l’histoire de l’Opéra ? L’élu (e) sera-t-il un (e) étranger (ère) ? S’agira-t-il d’Olivier Mantei, actuel directeur de l’Opéra comique ou du Belge Peter de Caluwe, qui vient d’être renouvelé à La Monnaie à Bruxelles ?

En octobre, Le Monde lâche que le candidat favori de l’Élysée est Christophe Ghristi, directeur du Capitole de Toulouse. On avance qu’il serait fortement soutenu par Sylvain Fort, expert en opéra et à cette époque directeur de communication du président Macron. Mais la candidature présumée irrite fortement la mairie de Toulouse et M. Ghristi dément dans un communiqué.

Coup de théâtre ?

Un autre grand favori est Serge Dorny, directeur de l’Opéra de Lyon. Hypothèse rapidement écartée, car il avait signé avec l’Opéra d’État de Bavière.

Pour calmer le jeu, M. Riester établit en janvier un « comité d’audition » des candidatures. Du jamais vu dans le processus de choix d’un directeur de l’Opéra.

Deux mois plus tard, une liste de quatre candidats est révélée par Challenges : Olivier Mantei, Peter de Caluwe, Dominique Meyer, directeur de l’Opéra de Vienne, et Alexander Neef, dirigeant du Canadian Opera Company.

Le mystère est levé sur un point : ce ne sera, a priori, pas une femme, car la seule auditionnée, Christina Scheppelmann, directrice artistique de l’Opéra de Barcelone, a accepté la direction de l’Opéra de Seattle.

Et dernière « élimination » : l’AFP a appris mardi que Dominique Meyer devrait être nommé le 28 juin futur directeur de la Scala.

Dans ce que la presse qualifie de Game of Thrones à l’Opéra, M. Riester se contente de rappeler qu’il y a de « très bonnes candidatures ». Suffisamment pour convaincre le président ou faut-il s’attendre à un coup de théâtre, comme une reconduction de Stéphane Lissner ?