Pour conclure l'année, voici revenir le temps des top. Planète oblige, voici une liste des meilleurs albums anglophones de l'année, dressée en toute subjectivité par notre journaliste et critique Alain Brunet. Écoutez, comparez, détestez, appréciez !

INDIE POP, INDIE ROCK, ÉLECTRO, SOUL/R&B

A Brief Inquiry into Online Relationships

The 1975

Dirty Hit/Polydor

Groupe originaire du Cheshire aujourd'hui établi à Manchester, The 1975 rayonne mondialement avec ce troisième album studio, spectaculaire intégration de plusieurs styles : indie rock, synth-pop, soul-pop, dream pop, électro-pop, dubstep, U.K. garage, brit-pop... pop ! Quatre décennies nous contemplent dans le prisme de cet opus. Les hymnes, les accroches, les patterns harmoniques, les rythmes binaires, les grattes de guitare, les accords de clavier et les textures électroniques constituent une synthèse plus qu'efficace de leur parcours, doublée d'une remarquable incarnation de l'état ressenti par les adolescents et jeunes adultes d'aujourd'hui, très majoritairement disséminés, égarés, naufragés, échoués en ligne. La charge de ces chansons est assez forte pour constituer un véritable phénomène d'identification à l'échelle occidentale.

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INDIE ROCK

Be the Cowboy

Mitski

Dead Oceans

Mitski Miyawaki est une artiste eurasienne américano-japonaise ayant vécu dans plusieurs pays d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient et ayant fait des études de cinéma et de musique dans l'État de New York (Hunter College et Conservatoire de musique de Purchase College). Be the Cowboy est son cinquième album studio, certes celui qui l'a fait naître internationalement. Songwriter de grand talent, elle ne réinvente pas la forme indie rock de prime abord, mais lui insuffle une forte dose de subtilité dans ses mélodies, ses arrangements, ses choix harmoniques très modernes, la grande qualité de son propos et de sa forme littéraire, sa vaste culture pop. Mitski s'impose cette année comme l'une des voix féminines les plus importantes de la culture indie, rejoint la cohorte top niveau des PJ Harvey, St. Vincent, Anna Calvi, Lykke Li, Feist et autres Emily Haines.

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EDM, SYNTHPOP, POP

Honey

Robyn

Konichiwa/Interscope

Enrobés des meilleures productions synthpop, dance-pop ou disco house, les rythmes et accroches mélodiques de Robyn font encore école sur le territoire entier de la pop. Huit ans après la sortie de son opus précédent, Body Talk, ce magnifique Honey a été créé de concert avec les réalisateurs anglais Joseph Mount (Metronomy) et Adam Bambridge (Kindness), du maître de la house américain Marvin Burns alias Lil Louis, des docteurs en scandipop Klas Frans Åhlund, Markus Jägerstedt et Rudolf Nordström. Non seulement les neuf chansons au programme sont des mégatubes potentiels sans exception aucune, mais encore elles révèlent une diversité de rythmes, grooves, mélodies et arrangements de haute volée, ce qui confère à la Suédoise un énorme pouvoir d'influence auprès des meilleures chanteuses pop qui lui succèdent.

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HIP-HOP

Invasion of Privacy

Cardi B

Atlantic

À la manière de tous ces êtres beaux, intelligents, mais aussi vulgaires, rudes et conquérants, cette bombe du Bronx fait des ravages partout où elle est larguée. Invasion of Privacy en explique très clairement le processus personnel et la vision : récolter le cash et imposer le respect impliquent l'assomption de la pulsion sexuelle et du pouvoir attractif au féminin. Pendant ces 48 minutes et 13 secondes de pétarades hip-hop, Cardi B assume l'intégralité de ses contradictions et représente déjà un modèle de réussite pour tant de jeunes gens de sexe féminin qui lui ressemblent un tant soit peu. La force de son flow résulte également d'une fine compréhension de son milieu où les gangstas sont parfois des jeunes femmes très sexy ! Assurément, la force est avec Cardi B.

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HIP-HOP

Some Rap Songs

Earl Sweatshirt

Tan Cressida/Columbia

Connu sous le pseudo Earl Sweatshirt, le rappeur et producteur Thebe Neruda Kgositsile est un autre de ces jeunes visionnaires de Los Angeles, actif depuis l'adolescence au sein du collectif Odd Future - Tyler, the Creator, Frank Ocean, etc. Some Rap Songs, son troisième album, est une des contributions les plus singulières du hip-hop actuel. Il couche ses textes à multiples niveaux sur un beatmaking hors du commun. À la fois brutal et minimaliste, le mixage intègre de vieux fragments soul/R&B (Curtis Mayfield, Harvey Scales, etc.) ou même de jazz sud-africain (Hugh Masekela) auxquels il juxtapose des voix parlées, gémissements, applaudissements, riffs de piano, boucles de fréquences saturées et autres bruits pour le moins atypiques. Cette quinzaine de chansons dure moins d'une demi-heure ! Aucune tendance dominante n'y est perceptible, aucun équivalent à l'horizon.

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HIP-HOP

Care for Me

Saba

Sabat Pivot/LLC

Nouvellement admis dans l'élite hip-hop, Saba propose un enregistrement gorgé de substances soul, jazz ou électroniques. Âgé de 23 ans, Saba s'efforce de réévaluer à la hausse le pouvoir de l'empathie, de maîtriser la peur et la panique, d'éviter qu'on lui imprime un code-barres sur les poignets, d'évoquer ses rêves inassouvis et de magnifier les épisodes-clés de son existence. La musique et le flow virtuose du rappeur sont à la hauteur de son propos sensible et intelligent. Ses musiques sont raffinées, sensuelles, puisant tant dans l'atelier des outils numériques que dans celui des musiques instrumentales jazzy groove - trompette, guitares, batterie, violon, claviers. Plutôt qu'une tribu entière de beatmakers, Saba a créé Care for Me de concert avec le producteur et réalisateur daedaePIVOT et le multi-instrumentiste Daoud.

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AMERICANA, FOLK ROCK, ÉLECTRO

Foxwarren

Foxwarren

Anti-/Arts & Crafts

On a déjà loué l'art chansonnier d'Andy Shauf, décliné sur deux maxis et trois albums dont l'excellent The Party qui a été sélectionné dans la liste restreinte du prix Polaris en 2016. Le voilà au sein de Foxwarren, réunion de complices issus des Prairies canadiennes, dont voici l'alignement : Andy Shauf (guitares/claviers/voix), Dallas Bryson (guitare/voix), puis les frères Darryl (basse) et Avery Kissick (percussions). Quelque part en Saskatchewan, ces potes ont ciselé ce bijou de culture americana. Haute teneur mélodico-harmonique, voix magnifiquement agencées, délicatesse et subtilité du propos s'inscrivent dans les sillages croisés de Robbie Robertson, Paul Simon et autres Neil Young. Il est d'autant plus jouissif d'en observer les actualisations ; arrangements et ornements électroniques confèrent à cet album une qualité clairement supérieure dans le contexte americana. 

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INDIE ROCK, DISCO, GLAM, ART POP

In a Poem Unlimited

U.S. Girls

4AD

In a Poem Unlimited est un furieux mélange de disco, soul, dance rock, glam rock, psychédélisme, kitsch délirant ou même jazz moderne. On ne s'étonnera pas que ce véhicule multigenre que pilote Meghan Remy, Torontoise d'origine américaine, soit venu à un cheveu de remporter le prix Polaris en septembre dernier. Auteure, compositrice, réalisatrice, leader d'orchestre, la chanteuse n'a peut-être pas la voix la plus suave qui soit, elle s'avère néanmoins une artiste pop d'une grande maîtrise et d'une grande vision. En témoignent la subtilité et la cohérence de ses intégrations excluant toute prise de tête. Sa prestation à grand déploiement au cinéma L'Amour, dans le contexte de Pop Montréal, a confirmé l'envergure de ce nouvel opus, assurément parmi les meilleurs sortis au Canada anglais cette année.

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ROCK, PUNK, POST-ROCK, ALTERNATIF

Beyondless

Iceage

Escho/Matador

Beyondless devrait asseoir la réputation mondiale de l'excellent quartette danois s'exprimant en anglais Iceage : Elias Bender Rønnenfelt (chant et guitares), Johan Surrballe Wieth (guitares), Jakob Tvilling Pless (basse) et Dan Kjaer Nielsen (batterie). Tout en conservant une énergie hardcore absolument dévastatrice, le groupe de Copenhague a élargi son éventail stylistique (blues, polka kurtweillienne, post-rock, afrobeat, jazz contemporain), exploré un plus vaste spectre harmonique, étoffé son instrumentation (instruments à vent, accordéon, violon, entre autres), imaginé une très solide trame dramatique. Cet enregistrement suggère un chaos magistral... somme toute très organisé :  la désinvolture, le relâchement, le plaisir narcotique et les vertus extatiques y côtoient l'agressivité, l'arrogance, la violence, et aussi la rigueur conceptuelle. La marque des meilleurs albums rock, inutile de le préciser.

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POP, R&B

Sweetener

Ariana Grande

Republic Records

Écoutez avant de juger ! Un des meilleurs albums pop de 2018 porte le nom d'Ariana Grande, 25 ans, midinette générique depuis les débuts de son ascension. Elle avait de la puissance et de l'ambition, mais rien n'indiquait qu'elle ferait équipe avec Pharrell Williams pour la partie congrue de cette étonnante proposition. Ce dernier a mis tout son talent au service de cette pop star jusque-là sans grand intérêt, sauf bien sûr sa prestance après l'événement terroriste survenu lors d'un spectacle donné à Manchester en 2017. La tragédie reste en toile de fond à travers cette mutation sonore insoupçonnée. Exit le bonbon, le sucre en poudre et le sirop de poteau, enfin presque... Chose certaine, Ariane Grande a accompli ce que Taylor Swift n'a jamais accompli : plonger dans une pop beaucoup plus incarnée, plus groovy, plus substantielle.

Autres albums marquants de 2018

Negro Swan, de Blood Orange (pop, R&B)

Double Negative, de Low (indie rock, électro)

FM!, de Vince Staples (hip-hop)

Isolation, de Kali Uchis (R&B, hip-hop)

Tranquility Base Hotel + Casino, d'Arctic Monkeys (art pop, art rock, rock)

Daytona, de Pusha T (hip-hop)

East Atlanta Love Letter, de 6lack (hip-hop)

Devotion, de Tirzah (art pop, soul, R&B)

Soil, de Serpentwithfeet (R&B, soul, gospel, art pop)

Hunter, d'Anna Calvi (rock, art rock)

Golden Hour, de Kacey Musgraves (country, folk, americana)

Broken Politics, de Neneh Cherry (trip-hop)

Abysskiss, d'Adrianne Lenker (folk, americana)

Astroworld, de Travis Scott (hip-hop)

Die Lit, de Playboi Carti (hip-hop)

Chris, de Christine and the Queens (pop)

Lost and Found, de Jorja Smith (soul/R&B)

The Prodigal Son, de Ry Cooder (americana)