Prévue le 9 novembre, la réédition multi-formats d'un opus studio des Beatles se consacre au fameux White Album. Le septième opus studio des Beatles, album homonyme dit «l'Album blanc », fut lancé il y a 50 ans, plus précisément le 22 novembre 1968. Considéré comme l'un des plus substantiels du Fab 4, cet opus double porte les classiques Back in the U.S.S.R., Dear Prudence, While My Guitare Gently Weeps, Blackbird, Rocky Racoon, Julia et autres Helter Skelter.

Pour cette réédition, les enregistrements ont été remixés par notre interviewé, Giles Martin, fils de feu Sir George Martin, assisté de Sam Okell. Cette collection de 107 titres comprend les remixes des chansons originelles du White Album, plusieurs déclinaisons tirées des maquettes enregistrées à Esher, où se trouvait le domicile de George Harrison à l'époque. Cette vaste proposition inclut également d'autres enregistrements studio réalisés au cours du même cycle de création, notamment les remixes des chansons Lady Madonna, Hey Jude et Revolution, sorties durant la même période que le White Album.

Rappelons qu'une quarantaine de chansons avaient été écrites et composées au cours d'un stage de méditation transcendantale donné entre février et avril 1968 à Rishikesh, en Inde septentrionale, par le célébrissime gourou Maharishi Mahesh Yogi. Les maquettes de ces chansons furent ensuite enregistrées ou retravaillées sommairement chez George Harrison à Esher. Les chansons du White Album trouvèrent leur forme finale aux studios Abbey Road.

Les beatlesmaniaques savent que ces séances d'enregistrements furent marquées par des tensions internes, causées notamment par la présence assidue de Yoko Ono nouvellement arrivée dans le décor. Sir George Martin s'était lui-même éclipsé quelques semaines pour des vacances prévues depuis longtemps et... pour des raisons qu'on imagine. Entre autres irritants, un montage électroacoustique de Revolution bricolé par John Lennon et Yoko Ono, influencé par les courants d'avant-garde, n'avait vraiment pas fait l'unanimité.

Giles Martin, fils du «cinquième Beatle» aujourd'hui âgé de 48 ans, a oeuvré depuis son jeune âge auprès du paternel, notamment pour le projet The Beatles LOVE présenté par le Cirque du Soleil et mis en scène par Dominic Champagne. Dès le début de cet entretien téléphonqiue, il souligne ses affinités montréalaises:

«Votre ville a déjà été mon deuxième chez-moi! J'ai passé beaucoup de temps à Montréal lorsque je travaillais avec Dominic Champagne pour LOVE. Avec lui, j'ai travaillé à un autre show par la suite, nous restons de bons amis...»

Multi-instrumentiste, compositeur, réalisateur et remixeur de réputation internationale, Giles Martin a travaillé sur moult productions majeures, dont le remixage de l'album Sgt.Pepper's Lonely Hearts Club Band, oeuvre déterminante de la pop culture au cours des années 60.

«J'étais très anxieux, raconte-t-il, à l'idée de reprendre des enregistrements réalisés par mon père, jadis entouré d'excellents techniciens de studio. Or mon  travail effectué sur Sgt.Pepper fut très bien reçu. Pour ce 50e anniversaire du White Album, j'ai dû de nouveau faire face aux décisions artistiques prises par mon père à l'époque. J'ai repris les pistes originelles des chansons, mais aussi les prises de son alternatives, conversations de studio et maquettes. Ce fut pour moi un grand privilège d'être à Abbey Road afin d'y mener ce travail et revivre l'intégralité de ces séances d'enregistrements.»

Quel fut le travail de Giles Martin pour cette réédition? Il ne s'agissait pas de transformer ces enregistrements, tient-il à préciser.

«Il fallait plutôt faire en sorte que le public puisse faire l'expérience que j'ai faite moi-même en parcourant tous ces enregistrements. Il fallait ainsi rapprocher les fans du groupe et de cette musique fantastique, mon rôle était de les plonger dans cette époque de création. Or, il fallait être prudent et éviter la démagogie en prétendant améliorer ces oeuvres. En fait, l'objectif était d'améliorer le contexte de l'écoute de ce matériel, faire en sorte que l'auditeur s'imagine là où ces chansons furent créées, pendant ces séances qui ne se reproduiront jamais.»

Du coup, notre interviewé dit avoir évité d'inscrire les chansons du White Album dans une optique de perfection.

«Nous avons réuni tout le processus créatif et songé à la meilleure façon de le présenter. J'ai nettoyé sommairement certaines prises de son, mais j'ai laissé les choses le plus crûment possible, sans filtres superflus. Il fallait conserver les défauts originels de ces chansons pour ne pas en trahir la saveur originelle, l'humanité qui s'en dégage. On a tendance à croire aveuglément en la magie des micros et des techniques d'enregistrement, c'est un leurre.»

Plus précisément, Giles Martin et son équipe ont adapté la facture originelle de ces enregistrements pour le contexte actuel:

«Longtemps, soulève-t-il, on a écouté ces chansons dans des conditions fort différentes de celles d'aujourd'hui. Les chaînes ne sont plus les mêmes, les enceintes acoustiques sont différentes, et la manière dont on absorbe la musique est beaucoup plus proche des conditions imposées par les plateformes d'écoute en continu. Sur les listes d'écoute, par exemple, les Beatles peuvent cohabiter avec Ed Sheeran; les époques se superposent et c'est très bien ainsi. Il me fallait donc m'adapter au contexte actuel de la diffusion et de l'écoute, soit en offrant un remixage plus dynamique, dépouillé de certains effets et enrichi par le rehaussement d'éléments insoupçonnés.»

Il importait néanmoins de préserver la facture sonore originelle:

«Le White Album a un son qui lui est propre et demeure contemporain, c'est pourquoi il fallait en maximiser les qualités en en conserver l'intégrité. Les Beatles avaient alors travaillé de manière différente; mon père était moins impliqué dans les séances, il y avait moins de contraintes d'efficacité dans le processus d'enregistrement, les artistes passaient de longues nuits, de prise en prise...»

Giles Martin et ses collègues ont tout écouté et sélectionné ce qui leur semblait digne d'intérêt: versions allongées, conversations pertinentes entre les musiciens, ces incroyables maquettes inspirées de leur séjour en Inde, chansons, reprises ou impros inédites, ou même aux formes préliminaires de titres célèbres ne faisant pas partie de l'Album Blanc, on pense à Revolution, Hey Jude, Lady Madonna ou même Across the Universe.

«Ça reste super cool! s'exclame notre interviewé, préférant de loin la notion de témoignage sonore à celle de la perfection audio.

«Pendant que nous vieillissons, conclut-il, les enregistrements préservent des moments de l'histoire. Ils sont en quelque sorte des verrouillages temporels.»