Ne cherchons pas à déterminer si le groupe danois Iceage s'est ainsi nommé pour ironiser sur le réchauffement planétaire ou s'il invoque la nécessité de se geler les hémisphères du cerveau afin d'atténuer les perturbations qui les parcourent. Cherchons plutôt à comprendre comment Iceage est parti de l'expression brute pour gravir des cimes de rock et de pertinence esthétique.

Quatre albums rendus publics depuis 2011 résument un remarquable tracé, soit du punk hardcore garage à un rock orchestral multiréférentiel, n'ayant rien perdu de son mordant malgré la sophistication acquise : opus homonyme paru en 2011, You're Nothing en 2013, Plowing Into the Field of Love en 2014, et ce fabuleux Beyondless, sorti au printemps, illustrent une démarche hors du commun.

Iceage est l'un des rarissimes détachements punk-hardcore-garage à avoir complexifié sa proposition originelle tout en maintenant l'indice d'octane très élevé de son carburant... qui n'a rien de fossile, tout compte fait. L'outre-punk chez Iceage s'exprime du côté de la polka, de l'univers de Kurt Weill, de l'afrobeat, du jazz primitif, du delta blues, de la musique classique contemporaine et plus encore, ce qui régénère assurément la notion d'art rock aux fondements corrosifs.

Voilà assurément une excellente raison d'établir cette communication par Skype avec le chanteur et guitariste Elias Bender Rønnenfelt, échoué avec ses collègues dans une chambre d'hôtel au Minnesota, à quelques jours de l'escale montréalaise.

« Chacun de nous s'intéresse à la musique nigériane, au funk, au blues, au rock, et ça continue dans le monde entier, explique Elias Bender Rønnenfelt. Même si ces musiques ne sont pas toujours intégrées directement à notre style, elles ont un impact indirect. Toute cette information finit par constituer un langage musical plus vaste, inconsciemment ou non. » 

Les ajouts stylistiques se sont faits progressivement, croit le frontman d'Iceage.

« Nous développons cette approche multigenres pendant quelques années, cela remonte au moins à l'enregistrement précédent. Nous ne cessons d'amener des idées, des canevas, autour desquels les chansons se construisent. C'est ainsi que nos albums voient le jour. Or, je ne suis pas sûr de pouvoir expliquer clairement les étapes et les acquis de notre progression. En tout cas, cette progression me semble évidente. »

« Je crois que nous sommes dans un état constant d'évolution. »

Sur scène comme en studio, d'ailleurs, Iceage invite régulièrement des collaborateurs à étoffer sa proposition.

« Depuis que le dernier album est sorti, rappelle Elias, nous avons joué avec un altiste et un pianiste. Sur la tournée précédente, nous avions du saxophone. Nous avons aussi collaboré avec un orchestre de chambre à Berlin, ce fut une expérience intéressante que de travailler avec Stargaze sous la direction d'André de Ridder, car ce chef aime présenter l'orchestre dans des contextes différents, les musiciens de ce collectif sont ouverts à la musique expérimentale. »

Ces collaborations et intégrations stylistiques sont-elles plus typiques de l'Europe ? Le chanteur d'Iceage le croit.

« Nous nous considérons sans aucun doute comme un groupe européen. Notre culture est aussi celle d'un vieux monde, c'est évident. Nous vivons à Copenhague, nous travaillons là-bas, alors forcément notre musique s'en ressent. Mais nous aimons aussi bouger, partir à la dérive pour y chercher l'inspiration. Il faut aller se perdre ailleurs. En fait, nous n'aimons pas rester trop longtemps au même endroit. »

Des groupes punks, hardcore ou garage s'en tiennent à l'énergie primale et ne changent pas leur approche viscérale des premiers jours, ce qui n'est pas le cas d'Iceage.

« C'est vrai... », corrobore Elias Bender Rønnenfelt, non sans cacher son indifférence, avant de réaffirmer la dynamique de son groupe, authentique phare pour la relance du rock.

« Le seul choix qui s'offre à nous est de grandir ! Nous répéter ne nous intéresse vraiment pas. S'il n'y avait pas de progression, ce serait malheureux. Voilà notre état d'esprit : nous ne continuerions pas à faire de la musique s'il n'y avait plus ce désir de changement. Si l'élan créatif venait à cesser, nous cesserions nos activités. Et donc ? Oui, nous sommes encore affamés pour cette recherche de territoires inconnus. »

Iceage, à la Sala Rossa ce soir, à 21 h