Un doctorat, huit albums, une dizaine de maxis, une place de choix dans le circuit international. Tim Hecker partage sa vie sédentaire entre Los Angeles et Montréal ; sa vie nomade le mène sur la planète électronique entière. Son nouveau vecteur de développement artistique s'intitule Love Streams, excellent album paru ce printemps sous étiquettes 4AD/Paper Bag, dont la matière sera jouée devant public au Musée d'art contemporain, dans le cadre de MUTEK.

Love Streams représente une véritable expansion conceptuelle pour Tim Hecker : bien au-delà de ses bases ambient, drone et bruitistes, il y a mis en oeuvre une démarche orchestrale à peine effleurée jusqu'alors.

Joint en Californie, où se trouve son studio personnel depuis deux ans (bien qu'il soit encore régulièrement à Montréal où il a de la famille), Tim Hecker rappelle avoir enregistré ce nouvel opus en 2014 et 2015, avant d'en laisser reposer la matière dans son ordinateur pendant des mois.

« J'ai mis le temps nécessaire pour ressentir ce qui fonctionnait vraiment. Sans vouloir me presser, je ne voulais tout de même pas m'éterniser. Cet album a fini par sortir ! »

- Tim Hecker

COLLABORATEURS DE TALENT

Depuis quelques années, le musicien fait appel à des collaborateurs pour étoffer ses créations en soliloque. Love Streams en est l'exemple le plus achevé. Il a notamment invité un ensemble de huit chanteuses, recommandées par le compositeur et arrangeur islandais Jóhann Jóhannsson, que l'on connaît au Québec pour les bandes originales des films du cinéaste Denis Villeneuve - Prisoners, Sicario, Story of Your Life.

« J'avais croisé Jóhann plusieurs fois et nous avons fini par collaborer sur la dimension chorale de mon album : échanges d'idées, envoi de maquettes à son studio de Berlin, écriture des arrangements, rencontres, enregistrement. Après avoir retravaillé la partition qu'il avait développée à partir de mes maquettes chez lui à Berlin, nous avons enregistré à Reykjavik. »

D'autres musiciens ont été impliqués dans Love Streams : le Scandinave Grímur Helgason en a arrangé les passages impliquant les instruments à vent, la compositrice et claviériste montréalaise Kara-Lis Coverdale en a joué les pistes d'orgue - comme elle l'avait fait pour Virgins, l'album précédent de Tim Hecker.

À Montréal, notre interviewé sera mis en lumière par l'artiste Marcel Weber, alias MFO, spécialiste des environnements visuels immersifs. Pas question, cependant, d'inviter sur scène d'autres instrumentistes ou chanteurs. Pourquoi donc ?

« Devant public, je me sens plus à l'aise pour exprimer seul ma musique avec mes propres moyens, répond-il. J'ai d'ailleurs essayé de jouer cette musique avec un choeur et... ce fut laborieux. Je voulais entendre les voix des chanteuses comme si elles étaient des spectres, mais il m'aurait fallu beaucoup plus qu'une ou deux séances de répétitions pour y parvenir. »

ARTISTE AU SENS LARGE

Malgré les techniques acquises et les avancées formelles, Tim Hecker ne se décrit pas comme un compositeur ; il préfère se définir comme un artiste au sens large, sorte de peintre ou de tisserand des sons.

« Je n'ai jamais prétendu être un compositeur en bonne et due forme. Je n'ai aucune formation académique en musique, j'ai plutôt obtenu un doctorat au département d'Art History and Communications de l'Université McGill - ma thèse porte sur l'étude des sons très forts en milieu urbain, notamment au tournant du XXe siècle, ce qui est une sorte de complément à mon art, mais... »

« Mon éducation universitaire se trouve ailleurs, ce qui me conduit à me distancier de la notion institutionnelle du compositeur. Que signifie composer de nos jours ? L'arrivée de la lutherie électronique en transforme totalement l'idée. »

- Tim Hecker

Cela n'exclut pas pour autant l'apprentissage de certaines techniques instrumentales, force est de le constater dans l'oeuvre de Tim Hecker : 

« J'ai été d'abord identifié au drone ou au noise ambient, mais je n'ai jamais senti qu'il me fallait défendre ces styles. Avec le temps, d'ailleurs, je me suis un peu lassé de créer des musiques horizontales, au point d'avoir cette impression de cultiver le déficit d'attention. Ainsi, je suis devenu de moins en moins tolérant aux formes linéaires ; je me suis mis à les raccourcir et les accélérer, à y introduire des motifs brièvement exprimés. »

Dans cette optique, la mutation progressive de ses propositions impliqua aussi une mutation de sa méthode de travail : 

« Pendant longtemps, j'ai été résolument indépendant, autonome, solitaire. Je faisais tout, du début à la fin. Puis j'ai appris à travailler avec d'autres en studio, je me suis ouvert à la collaboration de musiciens, à l'introduction d'instruments traditionnels ou en variant davantage mes outils numériques au-delà des logiciels d'ordinateur. J'ai fait usage du déphasage rythmique ou du contrepoint en travaillant avec d'autres. Sans passer par l'école, j'ai appris sommairement de nouvelles façons d'agencer les sons, de manière à contrer cette impression de linéarité que produisait ma musique. »

Cela posé, Tim Hecker se défend bien d'avoir renié son passé de créateur « linéaire ». « Je n'ai pas cherché à devenir quelqu'un d'autre ; j'ai simplement voulu apprendre, grandir, évoluer, être satisfait de moi-même en tant qu'artiste. »

Au Musée d'art contemporain le 2 juin, à 21 h, dans le cadre du programme Nocturne 2 de MUTEK