Si Toronto est la scène musicale du moment, Montréal a aussi connu son heure de gloire il y a une dizaine d'années grâce à l'émergence de groupes rock indie tels Godspeed You! Black Emperor et Arcade Fire. Table ronde avec trois musiciens francos de groupes anglos qui ont connu le fameux buzz du «Sound de Montréal»: Martin Pelland (ex-The Dears), Nicolas Basque (Plants and Animals) et Simon Trottier (Timber Timbre).

Marc Cassivi: Des publications comme SPIN ou le New York Times ont rendu compte il y a 10 ans du buzz autour de la scène indie montréalaise. Quel fut l'impact du buzz?

Martin Pelland: À l'époque, ça faisait déjà cinq ans qu'on tournait avec les Dears, mais on a senti qu'un nouveau public s'était greffé à notre noyau de fans. C'est sûr que les choses ont changé à ce moment-là. Il y a plein de groupes qui ont enfin eu la chance de jouer dans de bonnes salles.

Nicolas Basque: Je pense que c'est ce qui a fait la plus grande différence. Il y avait enfin des salles où jouer qui avaient de l'allure. Et des gens motivés, chez Pop Montréal et Blue Skies Turn Black, pour booker des groupes...

Simon Trottier: Des petites salles où tu pouvais faire des shows devant 150 personnes, qui étaient pleines, où le son était bon. Comme la Casa Del Popolo et la Sala Rossa.

Nicolas Basque: Je pense que ça a profité à des groupes de l'extérieur qui ne seraient peut-être pas venus à Montréal auparavant. Il y avait soudainement un public pour eux à Montréal, des endroits pour les accueillir et une curiosité de leur part.

Marc Cassivi: Une curiosité de constater ce qu'était cette scène montréalaise dont tout le monde parlait?

Martin Pelland: Oui. On ne le réalise pas vraiment, mais je pense que toutes ces salles sont devenues un peu mythiques. L'autre jour, il y avait un band de New York en ville qui me demandait où se trouvait la Casa...

Marc Cassivi: Ou l'hotel2tango. Des endroits très liés à un groupe comme Godspeed...

Simon Trottier: Quand je suis en tournée et qu'on se rend compte que je viens de Montréal, on me pose toujours des questions sur la Casa et l'hotel2tango.

Marc Cassivi: C'est un peu le legs de ce buzz du Montreal Sound, non? Les lieux sont toujours là...

Nicolas Basque: Les infrastructures sont toujours présentes.

Martin Pelland: Des festivals sont nés et ont pris une ampleur insoupçonnée: Pop Montréal, M pour Montréal, Mutek, l'Igloofest, les Piknic Électronik... Même hors de la scène indie, je pense que Montréal s'est doté d'importantes bases au début des années 2000. C'est ce qui demeure aujourd'hui.

Marc Cassivi: Est-ce qu'il y a eu des inconvénients à ce buzz-là? Est-ce que le fait d'avoir été la saveur de 2005 a pu nuire à Montréal d'une manière ou d'une autre?

Simon Trottier: Je ne le vois pas vraiment. Peut-être parce que j'ai trop le nez dessus. C'est peut-être à d'autres de juger de ça.

Nicolas Basque: Je pense que les groupes et les artistes se sont diversifiés beaucoup depuis. Il y avait peut-être un genre ou un style musical qui a prédominé pendant un an ou deux, notamment avec Arcade Fire, et qui a eu beaucoup d'influence sur toutes sortes de groupes un peu partout dans le monde. Il y a eu un Arcade Fire de la Saskatchewan, un Arcade Fire du Dakota-du-Nord...

Martin Pelland: Et de Laval!

Nicolas Basque: Mais la scène s'est diversifiée. C'est une scène assez créative. Il y a beaucoup de débrouillardise. Il y a une infrastructure qui s'est placée mais, au niveau musical, les gens se sont renouvelés.

Marc Cassivi: Après que ce nouveau public s'est greffé à l'ancien, comme le disait Martin, est-on revenus à un noyau de fans plus restreint, une fois le buzz passé?

Martin Pelland: Je regarde un nouveau groupe comme Milk & Bone, qui a profité d'un buzz avant même d'avoir un album. Au lancement, il y avait à peu près 1200 personnes qui voulaient entrer dans une salle de 450 places. Ça n'avait pas de sens. Et pourtant, c'était nouveau. Je ne pense pas qu'on est revenus à un petit noyau...

Marc Cassivi: Vous êtes des francophones qui ont joué et qui jouent dans des groupes anglos. Est-ce que la question de la langue s'est posée pour vous?

Simon Trottier: Moi, je voulais juste faire de la musique. Peut-être que dans le fond, le fait d'être dans un band avec un chanteur anglo qui venait de Toronto, ça me permettait d'imaginer que je pourrais jouer ailleurs que seulement au Québec. Faire des tournées aux États-Unis, voyager un peu plus...

Nicolas Basque: C'est une question de rencontres, je pense. Moi, je venais du milieu du free jazz. C'est l'amitié qui a construit le groupe. Et comme celui qui écrivait les paroles était le chanteur et qu'il était anglophone, ça s'est fait naturellement. En même temps, ces gens-là sont très conscients de la culture québécoise. Ils connaissent les groupes francophones.

Marc Cassivi: Lorsqu'on pense à ce buzz du milieu des années 2000, on pense aux groupes de la scène anglo-montréalaise. On n'y intègre pas tellement la scène musicale francophone...

Nicolas Basque: C'était les groupes anglo-montréalais ET Malajube!

Martin Pelland: J'ai réalisé leur premier disque, Le compte complet...

Marc Cassivi: Il reste que ce sont deux scènes qui sont restées séparées, non?

Martin Pelland: Quand le buzz est arrivé, ce mouvement-là a aidé, je crois, à rapprocher les deux scènes. Il y a des anglophones qui se sont mis à découvrir des groupes francophones dont ils ne soupçonnaient pas l'existence et vice-versa. Il y a eu une plus grande ouverture à découvrir la scène anglo. Parce qu'avant ce phénomène-là, c'était assez étanche entre les deux. L'intérêt médiatique pour le buzz a fait en sorte que les musiciens anglos savaient qui étaient les Breastfeeders, par exemple.

Nicolas Basque: Il y a eu des efforts en ce sens aussi. Comme Patrick Watson qui a joué avec Karkwa. C'est sûr que ç'a été plus difficile pour les groupes francophones. À part Malajube, il y a peu de groupes qui ont réussi à sortir du Québec et de la France.

Simon Trottier: Et les Français ont l'air de s'intéresser davantage à la musique anglophone de Montréal, ce qui est assez bizarre...

Marc Cassivi: Les Inrocks adorent Mac DeMarco. C'est plus exotique pour eux. Tu disais, Simon, que faire de la musique en anglais, c'est une façon de s'imaginer faire de la musique à l'extérieur du Québec. Mais n'est-ce pas aussi plus difficile de se démarquer? Il y a plus de compétition en anglais...

Nicolas Basque: Je ne sais pas. Les groupes francophones sont aussi en compétition avec les groupes anglophones.

Martin Pelland: Exactement. Ce n'est pas gagné d'avance pour les francophones non plus!

Simon Trottier: Si j'avais joué dans un band avec un chanteur francophone, on aurait fait des chansons en français. Ce n'est pas plus compliqué que ça. C'est délicat, la question de la langue, mais ce n'est pas toujours un choix de carrière réfléchi ou délibéré.

Nicolas Basque: C'est aussi une question de générations. Aujourd'hui, le monde est à la portée de tous. Lorsqu'on était plus jeunes, on ne pensait pas qu'on pourrait jouer ailleurs qu'au Québec avec notre groupe. Un groupe culte comme Godspeed a ouvert bien des portes. Maintenant, les jeunes musiciens de 25 ans ont des ambitions planétaires. Ils n'ont plus de complexes.

Simon Trottier: Des fois, ils ont tout: un manager, un attaché de presse, un styliste. Mais ils n'ont pas de tounes! (rires)

Marc Cassivi: Est-ce que le buzz du Montreal Sound a été surfait par les médias?

Nicolas Basque: Dans toutes les entrevues que j'ai faites à l'étranger à l'époque, il en a été question. Ça a clairement existé. On voulait savoir si je connaissais quelqu'un dans Arcade Fire ou Wolf Parade. Tous les journalistes avaient au moins une question sur Montréal. Un autre legs, c'est que la scène musicale montréalaise est restée très vivante. Je vois plein de jeunes groupes hyper intéressants.

Marc Cassivi: Donc, même si le regard médiatique porté sur lui n'est plus le même, Montréal n'a pas à être jaloux de Toronto?

Simon Trottier: C'est Toronto qui devrait être jaloux de Montréal!