Quand Oliver Jones prendra sa retraite, l'été prochain - «Cette fois, c'est vrai...» -, il aura non seulement reçu tous les hommages qu'un artiste peut espérer, mais il aura aussi donné son nom à un studio d'enregistrement. Un studio pour pianistes.

L'Espace Oliver Jones a été inauguré hier dans l'un des édifices «protégés» de l'organisme de promotion culturelle Pied carré, rue De Gaspé dans le Mile End.

«Ce quartier représente le coeur créatif de Montréal, bien sûr, mais aussi du Québec et du Canada tout entier», a déclaré Oliver Esmonde-White qui, avec des partenaires privés et publics, a investi pas loin d'un million de dollars dans un atelier de piano dont il veut faire un véritable centre de recherche et de développement.

«Avec quelque 20 facteurs, Montréal a déjà été le centre canadien du piano. J'ai l'ambition de contribuer à remettre la métropole à l'avant-plan de ce qui touche cet instrument, qui est toute ma vie.»

Accordeur de formation, Oliver Esmonde-White a été le premier Nord-Américain à obtenir son diplôme de la prestigieuse Yamaha Piano Technical Academy de Tokyo; Yamaha Canada est d'ailleurs un de ses partenaires, qui lui a confié le mandat d'entreposer et de préparer les instruments montréalais de ses grandes séries de pianos à queue dont les plus chers se vendent 140 000$.

Sans se poser comme un compétiteur du géant japonais, M. Esmonde-White se lance lui-même dans la fabrication artisanale - une demi-douzaine par mois - de pianos qui porteront son nom.

Par ailleurs, il s'est associé au département de génie mécanique de Polytechnique Montréal dans la conception d'un instrument de mesure qui facilitera le travail des accordeurs et autres techniciens de piano.

Autre projet d'un homme qui n'en manque pas: la conception d'une deuxième génération de robots-transporteurs qui permettent à un homme de déménager, seul, un «grand» piano de 1200 livres.

Piano Caméléons

Homme de piano «total» - «Je m'intéresse à tout, même à la géométrie du piano» -, Oliver Esmonde-White est aussi producteur. Après une longue réflexion sur les manières nouvelles d'exploiter l'instrument bicentenaire, il a accouché du concept Piano Caméléons qui se résume à une formule simple: «Musique classique - Couleurs jazz». Encore fallait-il trouver les bonnes mains pour la faire vivre...

Ici, M. Esmonde-White s'est adjoint deux musiciens qui, comme lui, ont été attirés par le bouillonnement créatif de Montréal où ils se sont établis. Les Caméléons, les premiers du nom, sont le New-Yorkais Matt Herskowitz, un diplômé de la Juilliard School of Music, et le Torontois John Roney, un des pianistes les plus demandés à Montréal.

Hier, pour une double première - premier enregistrement réalisé à l'Espace Oliver Jones et premier enregistrement des Piano Caméléons que leur producteur venait d'engager par contrat avec l'étiquette montréalaise Justin Time -, ces messieurs ont d'abord interprété leur arrangement du Prélude en do mineur de J.-S. Bach, réintitulé Bach à la jazz - qui figure déjà, en version solo (Justin Time), sur le disque du même nom de Herskowitz - et leur version «caméléon» de Träumerei (Rêverie), une des pièces les plus connues de Robert Schumann.

Le clou de la matinée, toutefois, est arrivé quand s'est assis au piano Oliver Jones, le parrain des Caméléons avec qui, en plus de Julie Lamontagne, il a donné le concert de clôture du dernier Festival de jazz.

Avec tout le swing qu'on lui connaît, le pianiste octogénaire s'est lancé dans Snuggles, une de ses compositions où, tour à tour, Roney et Herskowitz se sont joints à lui et l'affaire s'est terminée à six mains dans une spectaculaire explosion de notes.

L'Espace Oliver Jones venait de prendre sa place dans la géométrie montréalaise du piano avec un formidable trio. Un triangle, en fait. Isocèle.