Le groupe Dead Obies a entamé à Lille hier soir une tournée française de sept spectacles qui le mènera à Paris après le festival-vitrine des Trans Musicales de Rennes. Notre journaliste Émilie Côté a rencontré les musiciens avant d'assister à leur spectacle.

«On dit qu'il y avait 20 personnes au premier concert des Sex Pistols. Il y en avait 12 au dernier repas de Jésus et il y avait juste un témoin du meurtre de Jules César, a lancé à la foule Yes Mccan, en s'inspirant d'une citation de Tony Wilson dans le film 24 Hour Party People. Ce n'est pas le nombre de personnes qui rend un événement historique ou non. C'est notre premier concert en sol européen. Nous sommes Dead Obies de Montréal.»

Amusante coïncidence, Dead Obies présentait pour la première fois son «franglais» à un public français, à Lille, hier soir, alors que Denise Bombardier lançait son Dictionnaire amoureux du Québec à la Délégation du Québec à Paris.

«À Montréal, des journalistes ont parlé de notre franglais. Nous, on dit que c'est this is what we do», a lancé Yes Mccan aux quelque 25 personnes réunies à La Péniche, une salle de Lille aménagée dans un bateau flottant sur la rivière Deûle. Un décor historique à mille lieues de Brossard ou Granby, où ont grandi les six membres de Dead Obies.

Des «followers»

La Péniche se veut «un laboratoire de musique», où un public friand s'initie à de nouvelles musiques. Peu de gens y étaient hier soir, mais ils ont chaleureusement accueilli le post-rap de Dead Obies. Les cinq rappeurs et leur beatmaker VNCE y ont mis toute la gomme, de leur hymne d'ouverture Montréal $ud à la tonitruante et explosive Tony Hawk.

Gonflé à bloc dans la foule, Julien D'Hondt anticipait chaque chanson avec enthousiasme. Il a découvert Dead Obies en 2013 aux FrancoFolies de Montréal. Depuis, il suit activement le groupe. «Mon pote et moi avons fait une heure de route pour venir. Nous sommes de Dunkerque», a-t-il dit à La Presse après le spectacle.

«Le groupe apporte un truc que je ne retrouvais plus dans le rap français. On ne comprend pas grand-chose, mais c'est frais, bon, bien produit et posé sur scène», a-t-il ajouté.

De leur côté, Tatiana Carret et Catalina Cuevas ne connaissaient pas Dead Obies avant de sortir à La Péniche par un mardi soir froid et humide. «Une copine du Québec m'a dit de venir absolument ce soir», a dit la première. «C'est génial!» a lancé la deuxième.

La musique au-delà des mots

Au Québec, le «franglais» de Dead Obies a fait la marque du groupe et a même été la source d'une controverse linguistique reprise par le National Post (selon les chroniqueurs Christian Rioux et Mathieu Bock-Côté, le franglais de Dead Obies participe à la dévalorisation - voire au «suicide» - du français).

Il y a deux semaines, Dead Obies a lancé un livre où sont retranscrits les mots et néologismes «anglos-francos» de ses chansons. «C'est complémentaire à l'écoute de l'album», explique Yes Mccan. Et cette approche formelle inspirée de l'album Decoded de Jay-Z donne ses lettres de noblesse au rap, ajoute-t-il.

En France, paradoxe, c'est plutôt avec la musique - et non les mots - que le diffuseur Zouave Productions vend Dead Obies aux diffuseurs et médias. La responsable de la production et du booking, Émilie Davaine, mise surtout sur «un show hip-hop électro hyper puissant», explique-t-elle.

Elle vante les talents mélodiques du beatmaker VNCE. «En France, on n'est pas très bons en rythmes», lance-t-elle en riant.

Émilie Davaine s'occupe de tous les artistes du label Tôt ou tard (Albin de la Simone, Cats on Trees), dont Lisa LeBlanc. Elle connaît bien la scène montréalaise. «J'ai commencé avec Grimes pour ses tournées en Europe avant qu'elle signe avec 4AD.»

C'est connu: le rap québécois peine à s'exporter en France. C'est à titre d'essai que Zouave Productions orchestre la tournée de sept dates de Dead Obies, «dans des salles clés qui ont l'habitude de présenter de nouveaux groupes».

«Mine de rien, ils sont nombreux sur scène, donc c'est cher à gérer. On fait un test... mais le show est tellement cool!» explique la responsable de la production.

La Parisienne a découvert Dead Obies en Abitibi-Témiscamingue dans le cadre du Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue. Elle a programmé la tournée actuelle du groupe en France avant l'invitation de Jean-Louis Brossard, des Trans Musicales de Rennes (l'équivalent de M pour Montréal pour ses spectacles-vitrines et événements de réseautage). Or, ce dernier demande habituellement un spectacle exclusif de ses têtes d'affiche. Il a fait une exception pour Dead Obies, ce qui «permet une belle exposition».

«Aucune attente»

Le voyage en Europe de Dead Obies explique pourquoi le groupe brillait par son absence dimanche dernier lors du Gala alternatif de la musique indépendante du Québec (GAMIQ), où il a remporté quatre prix.

De l'autre côté de l'Atlantique, Snail Kid, 20some, Yes Mccan, O.G. Bear, RCA et VNCE «n'ont aucune attente». «Pour des rappeurs québécois, c'est une chance incroyable d'être ici», indique RCA. C'était néanmoins l'une des ambitions du groupe en signant un contrat avec le label Bonsound, précise-t-il. «Le marché du rap au Québec est restreint.»

Quatre d'entre eux n'avaient jamais mis les pieds en Europe. «Hier, on s'est promenés partout et on a pris des selfies sur la tour Eiffel», a raconté O.G. Bear. «Après quelques heures, j'étais dans le ghetto de Paris, le 93», a ajouté Snail Kid.

La dernière année a été faste pour Dead Obies. Le groupe a obtenu deux nominations au gala de l'ADISQ et a su se tailler une place dans la longue liste du prix Polaris.

Depuis la sortie de son album Montréal $ud, la bande a résolument atteint son objectif - proclamé en entrevue avec La Presse il y a un an - de «brasser la cage du petit Québec».

Reste à voir comment elle tirera son épingle du jeu en France. «Comme on part de zéro, on peut juste espérer builder un audience», dit O.G. Bear.