La dépendance croît avec l'usage. Dans le cas qui nous occupe, la dépendance aux alchimies étranges et fascinantes qui donnent la chair de poule, comme la voix humaine de chanteurs que l'on dit populaires mariée aux vibrations de l'orgue à tuyaux qui nous traversent le corps. Un autre concert insolite et magnifique vécu avec Martha Wainwright et les organistes lauréats du Concours international d'orgue du Canada (CIOC), hier soir à l'église unie St-James, nous en a convaincus.

On y avait déjà goûté un peu avec le duo formé par Pierre Lapointe et Jean-Willy Kunz, l'été dernier à la Maison symphonique, et on en redemandait. Cette fois, l'expérience est poussée plus loin, avec un répertoire de chansons plus varié, mais aussi une place accrue réservée au roi des instruments.

L'orgue de l'église unie St-James, un Wadsworth & Bros de 1889 restauré à plusieurs reprises par d'autres facteurs, impose le respect par sa présence à l'avant du lieu de culte. C'est d'ailleurs pour cette raison que les organisateurs du CIOC ont choisi cette église chaleureuse. Des éclairages rouges, bleus ou mauves sur les tuyaux donnent en plus au spectateur l'impression d'être tombé dans un livre de contes.

C'est Christian Lane, grand lauréat du CIOC en 2011, qui ouvre le jeu avec l'incontournable Toccata et fugue en ré mineur de Jean-Sébastien Bach. Un écran géant situé à l'avant montre tantôt ses mains filmées en plongée, tantôt ses pieds parcourant le pédalier, ou les deux à la fois. Le fait de «voir» de cette façon la musique se recréer force l'admiration, tant pour le génie du compositeur que pour la virtuosité de l'interprète.

La beauté de l'imperfection

Arrive ensuite l'audacieuse artiste, qui n'a certes pas froid aux yeux pour se mesurer à un instrument aux capacités aussi vastes. Le contraste entre la simplicité de la chanteuse, avec sa petite guitare, et l'instrument majestueux a de quoi prendre aux tripes. Elle se lance avec Four Black Sheep, une de ses propres chansons, puis dépose la guitare pour enchaîner avec Je te veux, d'Erik Satie.

Martha Wainwright est un éloge vivant de la beauté de l'imperfection. D'une voix bien imparfaite mais remplie de couleurs mystérieuses qui se modifient sans cesse, elle distille l'émotion pure. Sa voix se métamorphose aussi selon le style des chansons qu'elle interprète. Même s'il est évident qu'elle n'est pas tout à fait à l'aise vocalement dans Je te veux, elle réussit à en tirer quelque chose d'artistique. Elle chantera aussi, entre autres, La complainte pour Sainte-Catherine, des soeurs McGarrigle, et La foule d'Édith Piaf - très réussie. Les pièces les mieux rendues demeurent cependant les siennes, quand elle reprend sa guitare, comme Far Away.

En deuxième partie du concert, c'est Jean-Willy Kunz - revenu au pas de gymnastique d'un concert qu'il donnait juste avant à la Maison symphonique - qui l'accompagne en ajoutant parfois de petites improvisations jazz. Il jouera aussi merveilleusement la Toccata de la Symphonie pour orgue no 5 de Widor et la Toccata en si mineur d'Eugène Gigout. Ces pièces classiques, placées entre des blocs de chansons, sont bien choisies et idéales pour montrer aux spectateurs, sans doute pas tous amateurs d'orgue, la polyvalence de l'instrument.

«L'orgue peut tout faire», avait dit Pierre Lapointe à Martha Wainwright. Il avait raison: il peut même nous faire oublier le monde extérieur, le temps d'un concert.