Desjardins a été soufflé par son talent au point de l'inviter à faire la première partie de sa tournée L'existoire. Marjolaine Beauchamp, jeune slameuse, poète et auteure de Gatineau, écrit pour réveiller la beauté derrière la laideur apparente. Criée ou chuchotée, sa langue d'une brutalité soignée résonne en bousculant les préjugés. Elle sera du cabaret pluridisciplinaire d'Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier à la Place des Arts.

Sa toute première soirée de slam, Marjolaine Beauchamp s'en souvient encore. «C'était devant une gang de babyboomers et j'étais enceinte. Je me suis dit: au pire, ils vont me trouver plate, mais cute», raconte-t-elle sans vraiment chercher à faire rire. Elle est comme ça: directe, «sans filtre» comme elle dit dans un de ses morceaux, hypersensible et hyperlucide à la fois.

«C'est une jeune femme qui a la maturité existentielle d'une vieille personne», dit d'elle Richard Desjardins. Le chansonnier l'a rencontrée en 2009 au Dépanneur Sylvestre, carrefour communautaire de Gatineau où il va régulièrement participer à des spectacles-bénéfices. Cette année-là, Marjolaine Beauchamp avait été invitée à dire Comme une rivière, un texte où elle rend hommage au poète abitibien.

«Il avait les larmes aux yeux à la fin», se rappelle la jeune poète, qui était la première surprise de se retrouver devant cet artiste qu'elle ne pensait jamais rencontrer de sa vie. «Écoute ça sur YouTube et tu vas tout comprendre, lance Desjardins pour justifier son coup de coeur. C'est tellement bien écrit, tellement bien construit.»

Ce hasard a porté ses fruits: Marjolaine Beauchamp a fait la majeure partie de la tournée L'existoire, amorcée l'an dernier. Entre-temps, elle avait peaufiné son art dans les ligues de slam (championne québécoise 2009, vice-championne du monde 2010) et publié un recueil de poésie, Au plexus, qui lui a valu d'être finaliste au prix Estuaire en 2011 auprès de poètes tels Louise Dupré et Patrick Lafontaine (qui l'a emporté).

Slam et liberté

Marjolaine Beauchamp avoue avoir mis du temps à comprendre qu'elle était faite pour écrire. Née à Buckingham dans une famille «toute croche et pleine d'amour», elle a étudié en technique de son et d'éclairage. Elle raconte s'être promenée et «enfargée», avoir passé trois ans «à triper» à Montréal et avoir aussi menti dans ses CV pour décrocher des boulots du genre préposée aux bénéficiaires.

Ces années rock'n roll, elle les a vécues non pas comme une dérive, mais plutôt poussée par une soif d'expériences, par la curiosité. Seule constance: elle s'est toujours retrouvée entourée de créateurs. «J'étais la fille d'à côté, se souvient-elle toutefois. Celle qui apprécie le travail des autres et qui va fumer une cigarette devant la caméra d'une amie.»

Avant de se mettre à l'écriture et au slam, elle a même essayé l'aquarelle, ce qui surprend un peu compte tenu de la rugosité de son univers. «Je suis une observatrice et je sur-analyse tout. J'ai besoin d'évacuer ça, dit-elle. Par le biais du slam, je me suis rendu compte qu'on pouvait parler de quelque chose d'aussi banal que d'avoir eu un bébé ou de liberté, sans devoir rimer ou faire des vers de 12 pieds.»

Un regard «juste»

Son slam est sculpté dans le joual. «Je saurais écrire autrement, mais pas m'exprimer autrement», nuance Marjolaine Beauchamp. Sa langue témoigne d'une situation géographique et d'un vécu. «Elle a un regard juste et senti sur les poqués de ce monde, observe Desjardins. Et elle a un coeur d'or quand elle parle d'eux.»

Non seulement c'est juste, c'est même capital. Elle ne regarde pas la misère par la fenêtre pour attendrir l'auditeur, elle met les pieds dedans, en évoque nettement les cicatrices et les odeurs. Son art met le nez dans des zones peu fréquentées et force à s'interroger sur ses propres préjugés. Sa pièce Taram, présentée la semaine dernière à Montréal, exposait ainsi l'affection inattendue et immense d'une stripteaseuse d'expérience pour la petite jeune, fragile et confuse, qui venait d'arriver.

Elle est contente de savoir que ses mots incitent à voir le monde autrement. «Mon écriture dépeint une laideur, mais une belle laideur où les gens sont tout croches, tout patchés, où la grand-mère dealeuse va faire des oeufs au beurre brun à son petit-fils et lui acheter un Pez», illustre-t-elle.

«Le p'tit gars est tout sale, avec du popsicle autour de la bouche, mais il reçoit plein d'amour croche. C'est celle beauté-là qui me parle, parce qu'elle n'est pas facile à prendre et parce qu'on va la juger, poursuit-elle. Je n'écris pas pour gratter le bobo ou étaler mon vécu. J'en parle parce que je trouve ça pertinent.»