Débarqué sur scène, il propose d'abord de se détendre. Jase rénovation d'appartement, des urgents préparatifs pour l'arrivée imminente d'un poupon. À l'auditoire amusé, il demande des renforts pour accomplir les travaux nécessaires. Rectifie son profil biographique, blague sur certaines méprises à son endroit. «Je ne suis pas pas un bûcheron et amant de Catherine Ringer; je suis poète et amoureux de Catherine Major et qui se demande si Montréal cache assez d'amour pour lui.»

Du coup, le Montréalais entonne Montréal, un texte coécrit avec Manuel Brault. «On s'aime mal Montréal» dit la première chanson... qui n'est pas dépourvue de vérité. Effectivement, le francophone de souche peut encore avoir du mal avec des textes de cette facture, c'est-à-dire... très bien écrits. Dans une langue proche du français normatif, langue certes moins familière que d'ordinaire, moins chargée de régionalismes. Langue plus coincée? En ce lundi soir, le public présent à L'Astral ne semble aucunement souscrire à ce préjugé

Pas de résistance non plus au silence prolongé qui suit la chanson Toujours et encore. Et qui précède Mêmes animaux, legs poétique d'un père à sa progéniture, rimes magnifiques du surdoué Christian Mistral. Le chanteur y va ensuite d'un texte de son cru: «... mon coeur est au Labrador et le temps défait les liens de mon sang...» Avec un rythme plus soutenu, il est question de café, de tabac, de profondeur d'âme: Caféine. Sur un rythme plus chaloupé de guitares et d'échantillons numérisés, on se retrouve au bal des ordinaires: Désordres. La voix est grave, graveleuse, placide, laisse mijoter sentiments et concepts dans un corps de smooth operator, dont la puissance finit par se révéler.

Ressentie par l'auteur, la lucidité d'un schizoïde vient sur le tapis: Crazy, de facture cyber-folk-rock et assurée par les très bons accompagnateurs de Moran: le guitariste (et bidouilleur) Thomas Carbou, ainsi que le percussionniste Sylvain Coulombe, se permettent ici un groove plus soutenu, des choeurs plus habités, plus de sons. On se dit que Moran a trouvé ici un bon filon.

Après la pause, Proverbes précède l'apparition de la compagne enceinte jusqu'à Los... Angeles. Duo réussi d'un couple qui s'aime. Puis un Chaos très folk, qui trottine sur la route du coeur, qui chevauche les thèmes de la peur, du bonheur, du malheur. Il y aura une reprise d'Aragon/ Ferré (Est-ce ainsi que les hommes vivent), il y aura l'anglaise Coffee With The Moon, et Darfour, L'Idiot, Donne, Sans abri, Dans ma tête...

On conclut alors que la proposition musicale de Moran est un chantier intéressant... dont on attend encore plus de bruit, plus de saturation, plus de déraison afin d'en accentuer la tension. Et ainsi servir ces mots si bien dégainés.