Dix années se sont écoulées depuis le lancement du premier iPod. Cet objet culte a redéfini notre rapport à la musique, pour le meilleur et pour le pire. Maintenant qu'il est à l'article de la mort, c'est le moment de se demander: qu'est-ce que l'iPod a changé?

1) Tout

En apparence, l'iPod n'était qu'un autre baladeur numérique. Un objet cool, qui venait avec une promesse qui l'était encore plus : la possibilité de trimballer 1000 chansons dans sa poche. L'équivalent d'environ 100 albums! Un petit pas pour la technologie, qui allait se révéler un bond désastreux pour l'industrie du disque. Son design raffiné l'a d'emblée placé dans la catégorie des objets chic qui vont à tout le monde et non pas dans celle des gadgets réservés aux ados. Ce juke-box portable devient vite un précieux coffret virtuel où on range aussi photos, documents personnels et vidéo.

2) Il a mis l'industrie du disque à genoux

Que l'irrésistible ascension de l'iPod corresponde à l'effondrement spectaculaire de l'industrie du disque n'est pas une coïncidence. Que fait-on avec un baladeur numérique de 20G? On le bourre de musique et si possible à peu de frais, ce que permettent justement les sites de partages de fichiers (P2P). L'iPod ne provoque pas la révolution numérique en cours, mais il la cristallise. Steve Jobs lui donne même une sacrée poussée en lançant l'iTuneStore (2003) et en imposant les règles du jeu (chanson à 0,99$, album à 9,99$). Les géants du disque, qui avaient contrôlé jusque-là le passage d'un format à un autre (vinyle, cassette, CD, etc.), ne s'en remettront pas. Leurs ventes ont chuté de moitié depuis l'an 2000.

>>>>L'évolution de l'iPod depuis sa sortie en 2001: consultez notre galerie d'images.

3) Il a amené le monde dans notre salon

L'un des effets de la dématérialisation de la musique, c'est qu'il y a désormais plus de place dans le salon. Nos collections de disques sont désormais rangées dans un placard, au grand bonheur de nos blondes! On en profite pour dépenser une fortune sur l'iTuneStore. Jamais il n'a été plus facile d'acheter de la musique : en un clic, voilà de l'électro yougoslave ou du chant de gorge mongol. Les statistiques le prouvent : on écoute plus de musique que jamais. Les conditions sont réunies pour une explosion globale de la culture musicale.

4) Il nous a transformés en DJ

Avec sa fonction «mix de morceaux», l'iPod peut faire le DJ tout seul, mais il est plus amusant de le faire soi-même à l'aide de la fonction  «liste de lecture». Jouer au DJ devient un sport avec les iPod Battles, qui font leur apparition à Paris et bientôt à Montréal: des DJ amateurs munis d'un iPod prennent place dans un ring et s'affrontent à travers des propositions musicales audacieuses ou racoleuses de 90 secondes. Le juge, c'est le public.

5) Il a ramené le single...

Inspiration ou pas, dans les années 90, bien des artistes tenaient à meubler les 79 minutes que pouvait contenir le CD. Le remplissage est peu à peu devenu la norme. L'essor de l'iPod a toutefois ramené un format disparu en Amérique depuis le milieu des années 80 : le single. Les chansons s'achètent de nouveau à l'unité. Et s'il n'y en a que deux bonnes sur un album, la revanche n'en est que plus douce au coeur du fan!

6) ... et déplumé l'album

Sauf exception, l'album est une forme en souffrance au plan artistique. Sur le plan économique, c'est encore pire: iTunes est le plus important disquaire d'Amérique depuis 2008. En passant, si vous n'avez pas encore liquidé votre collection de CD chez un marchand de disques usagés, oubliez ça. Ces rondelles de plastique ne valent, pour la plupart, plus grand-chose.

7) Il fait rimer portabilité et qualité

Dénigrer le MP3 est le sport favori des amateurs de haute-fidélité, qui lui préfèrent le .FLAC ou le .WAV (en vérité, ils n'aiment que le vinyle). Était-ce vraiment mieux quand nos parents écoutaient des disques égratignés sur un tourne-disque portable muni d'un haut-parleur pourri? Ou quand nous écoutions des cassettes dans nos Walkman jaunes? À partir de 192 kbit/s, le MP3 offre le meilleur des mondes aux milliards d'entre nous qui ne possèdent qu'une chaîne stéréo ordinaire: portabilité, quantité et qualité. Dur à battre.

8) Il a dévalorisé la musique

L'argument de vente initial d'Apple était alléchant : 1000 chansons dans notre poche. Et maintenant? Jusqu'à 15 000 ou même 25 000. De quoi faire jouer de la musique pendant deux ou trois mois sans arrêt. Super? Pas forcément. Qui peut se vanter d'avoir déjà écouté, ne serait-ce qu'une seule fois, le contenu de son iPod? Se pourrait-il que le plaisir de stocker des chansons empiète sur celui de les faire jouer et que, en vérité, on accorde de moins en moins de valeur à la musique elle-même?

9) Il a inventé un nouveau marché

L'avènement de l'iPod touch (et par la suite de l'iPhone et de l'iPad) a créé un nouvel espace de commerce et d'imagination : celui des applications. Sorte d'Eldorado des programmeurs, le monde des applications est un marché aujourd'hui milliardaire. Dommage collatéral : quantité d'heures perdues à jouer à Angry Birds!

10) Il a creusé sa propre tombe

L'iPod n'en a vraisemblablement plus pour très longtemps. Dans sa version classique, du moins. Dans les téléphones intelligents et les tablettes électroniques, il n'est déjà plus qu'une... application. Dématérialisé, lui aussi. Ironique pour l'appareil qui a donné un sens à la dématérialisation de la musique, n'est-ce pas?