Diamanda Galas n'a pas les canines longues et acérées. Ne mord pas si elle est contrariée. Ne s'abreuve pas de sang humain avant d'aller dormir dans son cercueil lorsque le jour se lève. N'emprisonne personne afin d'exercer des sévices sexuels. Joue encore moins aux cantatrices énigmatiques, aux grandes dames incomprises et affectées. Bien au contraire.

Celle qu'on qualifie de superdiva gothique s'avère volubile, généreuse et... peut-être un peu crue. Émaillée de fuck bien sentis et de rires tonitruants, la rhétorique de Diamanda Galas n'est certes pas celle d'une interlocutrice inhibée! Ce qu'elle nous apprend sur elle n'en est pas moins fascinant. Au bout du fil, on a affaire à un être cultivé, brillant, très sensible, drôle, insatiable de curiosité.

 

Oui, Diamanda Galas est un personnage. Chanteuse disposant d'un organe exceptionnel - trois octaves et demie - dont l'approche varie entre l'opéra, le blues, le jazz ou le bruitisme - non sans rappeler les cris d'une hyène enragée! -, pianiste pour le moins atypique mais techniquement aguerrie, la New-Yorkaise est une performer hallucinante. Manière de Maria Callas sur l'acide? Méfions-nous des caricatures.

L'Américaine de 54 ans est la fille d'immigrants grecs dont le paternel dirigeait un orchestre en Californie du Sud. Et qui était la pianiste de papa au tournant des années 70? La petite Diamanda.

«Mon père (que j'adore) ne voulait surtout pas que je devienne chanteuse. Il les décrit encore aujourd'hui comme des putes incapables de trouver la note juste! Non, il n'a jamais saisi mon côté vocal... Je ne lui en tiens pas rigueur, remarquez. J'ai réglé ça depuis longtemps et je suis heureuse qu'il me trouve des qualités de pianiste. Les pères grecs, il faut dire, aiment leurs enfants sans réserves mais... préfèrent les engueuler afin qu'ils deviennent plus forts.»

Près de quatre décennies plus tard, Diamanda tient toujours tête au paternel (93 ans) telle une adolescente désireuse de s'affranchir. Monument de l'avant-garde sonore, elle est aussi respectée par moult personnalités de la pop culture, dont John Paul Jones, avec qui elle a enregistré The Sporting Life en 1994.

Déjà, dans les années 80, les férus de l'underground amerloque lui vouaient un culte, comparable à celui consacré à feu Screamin'Jay Hawkins, dont le personnage vampiresque avait été réhabilité par les gothiques au crépuscule d'une carrière flamboyante. Les anciens (dont je suis) se souviennent d'un passage remarqué de la Galas aux Foufounes Électriques.

Répertoire vaste et éclectique

En 2009? Sa culture est plus vaste que jamais, en témoignent l'éclectisme et la profondeur de son répertoire: «Il y a mon matériel grec, il y a mon matériel moyen-oriental, la musique inspirée des grands poètes, celle fondée sur le blues ou le jazz, la musique classique... Vous savez, je trouve bizarre que les gens ne sachent pas vraiment ce que je fais. Un journaliste russe m'a dit récemment que j'étais célèbre pour mes chansons d'amour!» confie-t-elle en s'étouffant de rire.

«Avec un ton de reproche, un autre journaliste m'a dit que je ne faisais que des chansons sur la mort... Je lui ai fait comprendre que les Grecs ne cessent de chanter la mort, la souffrance, la torture, l'emprisonnement. Normal: ce peuple a tellement souffert au fil des siècles! Il n'y a donc rien de mystérieux ou de tordu dans mon choix de sujets extrêmes.»

Mme Galas s'intéresse aussi à la chanson française: Henri Michaux (Je rame), Jacques Brel/Gérard Jouannest (Les Vieux, Amsterdam, La chanson des vieux amants), Jacques Brel (Fernand), Georges Neveux/Joseph Kosma (Les Amours perdues), Jacques Prévert/Joseph Kosma (Les feuilles mortes), etc.

«Pour Montréal, annonce-t-elle, j'ai une longue liste de chansons françaises dans lesquelles je puiserai... Vous savez, je m'engueule régulièrement avec des Américains au sujet de tous ces standards dont ils ne connaissent pas les origines françaises. Ils ne savent pas non plus que tant de grands compositeurs classiques sont français - ou bien ont vécu en France à un moment de leur vie. Aux États-Unis, la seule influence extérieure qu'on admet (pour des raisons de rectitude politique) est celle de l'Afrique. Le reste n'existe pas...» tonne Diamanda.

Elle bifurque ensuite vers le jazz moderne, cite des conversations entre Bill Evans et Miles Davis sur les fondements est-européens de certaines de leurs progressions harmoniques. Puis aborde l'importance du patrimoine byzantin dans la musique d'aujourd'hui. Et passe à Scriabin, Chopin, Rachmaninov, dont elle joue les oeuvres depuis l'enfance. Pas arrêtable, elle négocie un autre virage vers l'intérêt qu'elle porte aux maqâms arabes, perses ou ottomans!

La Galas est loin, très loin, de la caricature ou du buzz alterno de courte vue.

Diamanda Galas se produit, en solo (piano-voix), le 3 octobre au Théâtre Outremont.