C'est la veille du lancement de Version 3.0 (qui avait lieu mardi). Dans le studio rouge et noir où Fred St-Gelais et Marie-Mai se sont rencontrés, se sont aimés et ont réalisé tous les albums de la jeune auteure et interprète depuis six ans (jusqu'à tout récemment, ils vivaient même dans l'appartement au-dessus!), il règne une fébrilité certaine. N'empêche, dès qu'on s'assoit pour parler de musique, de conception et même de concept tout court - car il y a un petit quelque chose de l'album concept dans ce troisième disque -, la fébrilité fait place à la ferveur. Ils sont intenses, Fred et Marie-Mai, et unis: l'un finit les phrases de l'autre, les deux commentent, analysent, précisent leur pensée, Marie-Mai renvoie la balle, St-Gelais lui rétorque et repart de plus belle...

Et cloue le bec à la journaliste quand il empoigne sa guitare acoustique pour lui interpréter pratiquement tous les morceaux du nouvel album - électro-rock, on le répète! - , comme si on était autour d'un feu de camp, pendant que Marie-Mai se met à fredonner et à jouer de la voix. On appelle ça des chansons avec une mélodie forte, disons. «C'est important pour moi, explique Fred St-Gelais. Si nos tounes étaient juste un beat, ça serait peut-être des hits instantanés comme il y en a plein ces temps-ci, et on les adore, ces hits-là, comprends-moi bien. Mais Marie-Mai et moi, on veut faire des chansons que quelqu'un pourra reprendre dans 10 ans!»

 

On ne sait pas si quelqu'un reprendra dans dix ans C'est moi (le premier extrait, qui a fait un malheur sur les radios), Tout ou J'attendrai mon tour, mais on sait qu'elles se fredonnent instantanément et qu'elles se dansent comme c'est pas permis. Certains évoqueront peut-être une influence de type Lady Gaga, mais ce genre de commentaire ne démonte pas Marie-Mai: «Sur mon album précédent (Dangereuse attraction), on avait plein de sons électro (dans les chansons Emmène-moi, Tôt ou tard...), et c'était avant que Lady Gaga lance son disque, faque...»

À la manière Marie-Mai et Fred

Donc, on passe à un autre appel et on se penche sur le surprenant processus de création des chansons, à la manière Fred et Marie-Mai: «On ne se sépare pas les tâches, explique la jeune femme de 25 ans. Parfois, Fred a un riff de guitare ou de clavier, je le prends et j'ajoute des mots - c'est souvent des choses arrivées à des proches qui m'inspirent, un deuil, la dope, la peur... -, il reprend la chanson et enregistre une batterie ou une basse par-dessus, je reviens et ajoute une autre couche - j'ai le syndrome du deuxième couplet, c'est souvent Fred qui le trouve! -, il met ensuite de la batterie, je la travaille encore... C'est comme de la couture, notre affaire!»

«En fait, comme j'ai mon propre studio, reprend Fred le multi-instrumentiste, le processus d'arrangement et d'enregistrement se fait en même temps que le processus d'écriture. Tu vois, pour la mélodie de J'attendrai, j'avais cette mélodie à la guitare (il la joue): c'est assez folk, c'est Marie-Mai qui a eu l'idée qu'on la fasse jouer par des violons, ça faisait plus dramatique, ça marchait totalement. Marie est portée sur les mélodies en mode mineur, plus sombres, plus graves et heavy, moi, je viens brasser tout ça, je mets des hooks...» «Moi aussi, je suis capable de trouver des hooks (des accroches musicales)», proteste Marie-Mai. «Oui, mais t'en trouves huit, moi, j'en trouve un!» Et tous les deux se mettent à rire en se regardant dans les yeux: il y a manifestement certains souvenirs qui leur reviennent à la mémoire!

«C'est très étrange, cette façon de faire, reprend Fred St-Gelais. Quand j'écris avec Marc Dupré (par exemple la chanson Ce soir pour Annie Villeneuve), on se sépare très clairement les tâches. Mais pas avec Marie-Mai, on serait incapable de dire exactement qui a fait quoi dans nos chansons. Et cette fois-ci, on a vraiment pris quatre, cinq mois pour monter les morceaux, on voulait qu'il y ait une plus grande homogénéité que sur les deux précédents disques.» Les deux précédents disques, c'est-à-dire Inoxydable (2004) qui faisait suite au tout premier Star Académie - Marie-Mai avait alors 19 ans - et Dangereuse attraction (2007), enregistré alors que la jeune femme multipliait les spectacles. Elle les multiplie encore («Ma grande force, c'est les shows», dit-elle simplement, et tous les critiques lui donnent constamment raison sur ce point), mais elle prend un peu plus de temps pour penser à son affaire.

Par exemple, penser à faire un album entièrement rock, avec à peine une ou deux chansons plus mollo (mais pas douces), un disque jalonné de sons électro et de guitares électriques, percutant et fait pour être écouté fort - par moments, ça sonne comme du Metallica doublé de Madonna, mais en français, vous voyez ce que je veux dire? Or, par le passé, toutes les rockeuses du Québec se sont assagies, généralement à partir du troisième album, histoire de mieux «passer à la radio» québécoise, gourmande de ballades. Pourquoi Marie-Mai n'a-t-elle pas eu peur? «Qui ne risque rien n'a rien. Je n'aime pas ça, les zones de confort. Je suis tout à fait capable de faire des chansons plus douces, il n'est pas dit qu'un jour, je ne ferai pas un disque plus ballade ou plus jazzy ou plus acoustique, mais ce serait des «projets» parallèles. Moi, j'ai besoin d'énergie, de rythme soutenu, j'aime que le monde ait un surplus d'oxygène dans les poumons à la fin d'une chanson, qu'on hyperventile un peu.»

«Tu pourrais faire un spectacle sur un tabouret, lui répond Fred, mais au bout de cinq représentations, tu t'ennuierais. Les projets de toutes sortes pullulent de toute façon: tenter de nouveau de conquérir le marché français, chanter en anglais (il y en a une sur l'album, Do You).

«OK, là, je vais avoir l'air de prêcher pour ma blonde, conclut Fred St-Gelais, mais Marie a trois métiers: le métier d'auteur-compositeur, le métier d'interprète et le métier de star - car c'en est un en soi. Et Marie est capable d'exercer ces trois métiers. C'est pas tout le monde qui l'est.» Sous sa belle frange noire, l'auteure-compositrice-interprète-star regarde son chum, lui sourit... et relance la discussion. Quand on les a quittés, ce n'était pas fini... Heureuse attraction.