On associe souvent Harry Manx au mariage de la musique indienne et du blues. Pourtant, son premier album de chansons originales en cinq ans transcende de beaucoup l'exotisme. Rencontre avec un artiste épanoui.

Harry Manx est un artiste au parcours vraiment atypique. Né dans l'île de Man, au large de l'Angleterre, il a vécu à Toronto, en Europe, au Japon et 12 ans en Inde, avant de s'établir en Colombie-Britannique avec sa femme brésilienne. C'est dans les rues de Vancouver que ce musicien a été « découvert «, ce qui lui a permis de lancer, à 46 ans, le premier d'une série d'albums.

 

Manx est un original qui parcourt la planète avec sa mohan veena, une guitare-sitar à 20 cordes, et joue avec des musiciens qu'il recrute en chemin. Sa famille élargie comprend aussi bien la chanteuse canadienne aux racines indiennes Samidha Joglekar et le percussionniste allemand Yeshe que le pianiste américain Mark Kieswetter, qu'il a déniché tout à fait par hasard dans une petite boîte de Toronto et qui donne une nouvelle dimension à sa musique. Font aussi désormais partie de cette confrérie la chanteuse Geneviève Jodoin et le guitariste Simon Godin, de Belle et Bum, une émission qui a valu à Manx un public fidèle au Québec.

Ces jours-ci, Harry Manx est aussi l'auteur d'un nouvel album, Bread and Buddha - eh oui, il joue aussi avec les mots - dont il nous livrera l'essentiel à l'Astral, les 18 et 19 septembre. Les très belles compositions de Manx y côtoient avec bonheur des classiques du répertoire de Johnny Cash (Long Black Veil) ou du pionnier du blues Charlie Patton (Moon Goin' Down). D'autres emprunts sont plus étonnants, comme cette Humble Me que son ami Kevin Breit a donnée à Norah Jones.

Manx dit en souriant qu'il aurait préféré être le premier à l'enregistrer, mais que ce n'est quand même pas une bonne raison pour bouder une aussi belle chanson : « Kevin a fait pas mal d'argent avec Humble Me, puis il a décidé de se retirer du groupe de Norah. Quand il m'a proposé de la chanter, je n'avais entendu sa version qu'une seule fois. Cette chanson a été écrite pour qu'un homme la chante : elle parle d'amour perdu, de séparation, de coeur brisé. Ma femme et ses deux amies sont venues voir mon spectacle et elles ont pleuré toutes les trois quand je l'ai chantée.»

Nine Summers Lost, que Manx a écrite à la mémoire de neuf jeunes victimes de la violence des gangs de rue à Toronto, ne laisse personne insensible non plus, au Canada comme en Australie. « Je n'aime pas dire les choses trop littéralement, prêcher ou tenter d'influencer les gens, précise Manx. Mais à Toronto, des citoyens se réunissaient et se demandaient comment ils pouvaient exprimer leur perte. J'ai essayé de mettre ça dans une chanson. «

Plus accessible

Bread and Buddha est sans doute le moins exotique des albums de Manx et pourtant le plus étoffé, le plus diversifié. Il y joue beaucoup plus souvent de la steel guitar que de la mohan veena. « C'est encore très difficile de marier la musique classique indienne et la musique occidentale, explique-t-il. J'ai utilisé la veena sur Love Is the Fire uniquement parce que c'est un instrument qui sonne bien.»

Love is the Fire est probablement la chanson la plus commerciale qu'Harry Manx ait jamais enregistrée. C'était pourtant au départ une chanson sur l'amour divin écrite par un ami indien avec qui Manx la chantait dans un ashram à Pune, dans le Maharashtra. « J'en ai fait une chanson pop-rock contemporaine, reconnaît Manx. Peut-être qu'inconsciemment, je veux toucher un plus large public. Cet album, je crois, est un peu plus accessible. «

Des compagnies de disques lui ont proposé de faire de la musique de relaxation comme tant d'autres musiciens rentrés de l'Inde. « Je n'en ai jamais fait, dit-il. Je suis tombé dans le blues, j'ai joué dans la rue et, comme on dit en anglais, the rest is history. «

Il ajoute : « C'est drôle, j'ai fait une tournée avec Richie Havens au cours de la dernière année et il portait des vêtements indiens, mais pas moi. Pourtant, sa musique n'a rien à voir avec l'Inde. Je n'ai pas à parler aux gens de mon expérience en Inde, ils ont des oreilles pour entendre. «

Vendredi et samedi prochains, Harry Manx sera seul sur la scène de l'Astral. Il croit qu'un concert en solo a plus d'impact parce qu'il lui permet de toucher à l'essence de sa musique. N'empêche, il faisait bon l'entendre jouer avec les musiciens de l'émission de Bons baisers de France le mois dernier et il ne refuserait sûrement pas une invitation du Festival de jazz pour s'y produire avec un groupe complet l'été prochain.

Harry Manx à l'Astral, les 18 et 19 septembre.

EN UN MOT

Heureux qui comme Harry Manx a beaucoup voyagé avant d'atteindre, au milieu de la cinquantaine, sa pleine maturité artistique.