Joe Bocan ne quitte sa campagne que pour donner des spectacles ou pour prendre un petit bain urbain. Pour le reste, elle préfère s'en remettre au doux chant des oiseaux et aux reflets miroitants de son lac. C'est ainsi qu'elle repart à zéro tous les matins.

Dans mon petit coin de campagne où j'aime me réfugier les week-ends, il y a une radio. J'aime l'écouter, car tout sonne différent. Si tu veux avoir «des nouvelles fraîches» de tous les coins de Lanaudière, il faut écouter CFNJ. Outre les nombreuses émissions musicales, on y retrouve un bingo et un bulletin d'annonces nécrologiques. Ainsi, tu peux apprendre qu'Émérentienne Thériault, née Bélanger, est décédée à l'âge de 89 ans, à Saint-Félix-de-Valois. Quand je dis que tout sonne différent...

J'aime cette radio indépendante car elle offre une incroyable liberté à ses animateurs. Elle est tellement libre que même le coloré MC Gilles n'a pu résister à l'envie de se greffer à cette fréquence avec une émission country (Va chercher l'fusil) qu'il présente le vendredi soir à 2 h.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir récemment que Joe Bocan y présente une émission les après-midi de la semaine. Ça s'appelle Vitamine B. J'ai pris contact avec elle. Avec sa gentillesse légendaire, elle m'a donné rendez-vous dans les studios que CFNJ vient tout juste d'inaugurer à Joliette.

«C'est une tribune dans laquelle je peux aborder tout ce que je veux. Je parle surtout de notre communauté.»

Lors de notre rencontre, elle se préparait à parler de la question du suicide chez les agriculteurs.

Toujours aussi souriante, toujours aussi enjouée, Joe Bocan fait oublier la besogne du temps. On a l'impression qu'hier encore elle chantait dans une piscine entourée de flambeaux avant d'aller se faire sécher sur une hélice géante.

Pourtant, cela fait presque 25 ans que la chanteuse vit recluse à Sainte-Marcelline-de-Kildare, un coin du Québec qu'elle connaît depuis des lustres, car ses parents avaient un chalet à Saint-Alphonse-Rodriguez, un village voisin. Ils y vivent aujourd'hui en permanence.

«Dès que je suis tombée enceinte de mon premier enfant, j'ai voulu m'installer à la campagne. Je voulais que mes enfants aient une enfance de rêve. Et je crois que c'est ce qu'ils ont eu.»

On pourrait croire que celle qui fut l'une des grandes vedettes québécoises de la chanson des années 80 et 90 s'ennuie de ce métier pour lequel elle a toujours été faite. Il n'en est rien.

«Avoir des enfants, ça a changé ma vie. C'est devenu ma seule priorité. C'était un rêve que je caressais depuis que j'étais toute jeune.»

Et ce n'est pas parce que Joe Bocan s'est mise à préparer des purées de carottes que sa créativité a été balayée. «J'ai toujours été dans la création avec mes enfants. On sortait du lit et on faisait des chasses au trésor. Mon ex-mari [Charles Biddle] se levait tard et il disait: "Quossé ça?" La maison était un bordel.»

Un jour que Joe Bocan était en voiture avec sa fille Charlotte, alors âgée de 8 ans, la fillette lui a demandé si elle regrettait de ne plus être chanteuse. «Je lui ai dit que non et que j'avais la plus belle vie qui soit. Je ne suis pas une femme de carrière. Quand les choses arrivent, je suis heureuse. J'ai chanté devant 2000 personnes il y a quelques jours. C'était formidable. Mais je peux facilement vivre sans cela.»

Plusieurs fois durant notre conversation, Joe Bocan parlera de ses trois enfants, aujourd'hui âgés de 25, 23 et 20 ans. Et chaque fois, elle le fera avec les yeux brillants. «Ma fille vient de terminer sa maîtrise en sciences politiques. Elle est allée faire du terrain en Inde. Elle travaille dans un centre pour femmes en difficulté. Mon fils de 23 ans va bientôt partir pour un grand road trip. C'est un voltigeur. Il est plus dans la nature, comme moi. Quant au plus jeune, il est en musique. Il a travaillé sur le disque de Yes Mccan.»

Un métier qui a changé

Celle qui a célébré son soixantième anniversaire cette année continue de suivre la scène musicale avec attention. Elle me parle avec passion de Marie-Pierre Arthur et de Klô Pelgag. «Je trouve qu'elles n'ont pas toute la place qu'elles méritent. C'est difficile encore aujourd'hui pour les femmes d'être reconnues à leur juste valeur.»

Son dernier coup de coeur est Hubert Lenoir. «Je trouve que l'on se ressemble beaucoup, lui et moi. Sauf que l'autre jour, en entrevue, il a dit qu'il détestait la campagne. Là-dessus, nous sommes différents», dit-elle en riant.

Son plus jeune fils lui parle de la façon dont il travaille avec les autres musiciens. «Il me fait réaliser à quel point la manière de faire ce métier change beaucoup», dit-elle.

À l'ère du streaming où les chansons sont conçues pour être consommées une par une, Joe Bocan croit que les spectateurs vont bientôt revenir à l'essentiel: l'émotion. «Je suis allée voir récemment Kevin Parent en spectacle. Un échange a eu lieu entre lui et un spectateur turbulent. C'était devenu intense. J'ai dit à Kevin après le show: "Pourquoi tu ne l'as pas laissé continuer?"» 

«Un spectacle est une expérience unique. C'est un moment qui ne se renouvelle pas. Il faut en être conscient.»

Celle qui est déjà venue remettre un prix au gala de l'ADISQ en volant au-dessus du public continue d'avoir des idées et, surtout, de les défendre. «J'ai fait des chansons pas parce que je voulais devenir une chanteuse, mais parce que je voulais dire des choses. Apocalypso, Repartir à zéro ou Les femmes voilées, c'est le message qu'il y a dans ces chansons que je voulais rendre.»

Le bonheur facile

Joe Bocan offre régulièrement des spectacles à ses admirateurs, qui demeurent nombreux et fervents. En plus de son personnage de la Comtesse d'Harmonia, elle présente un spectacle en hommage à Joséphine Baker ainsi qu'un autre composé des chansons que l'on retrouve sur ses disques, notamment La loupe lancé il y a trois ans. «Les producteurs ont tiré la plogue trois semaines après sa sortie pensant que ça allait marcher tout de suite. Ça ne fonctionne plus comme ça.»

Entre ces spectacles, elle s'adonne à sa nouvelle passion: la radio. Éric Arson lui sert de «coach». «Il écoute mes émissions et donne des conseils. J'apprends beaucoup avec lui.»

Quand je lui dis que je suis étonné qu'aucune radio montréalaise n'ait pensé à elle pour animer une émission, elle a cette réaction: «Je suis trop vieille! Les femmes, passé 50 ans, on ne vaut plus rien», ajoute-t-elle en éclatant de rire.

Décidément, Joe Bocan ne s'en fait avec rien. «Oui, j'ai le bonheur facile.»

«J'ai vécu beaucoup de choses difficiles, mais j'ai toujours été capable de passer à travers ces épreuves. Je sais que la nature est là pour me consoler.»

Plusieurs voisins de Joe Bocan ne savent pas qui est la blonde platine qu'ils voient entrer dans l'eau du lac ou siroter un thé sur son quai. «Chez moi, je suis plutôt du genre à porter des vêtements mous. On va se le dire, la fille de Sainte-Marcelline fait souvent dur.»

La fille de Sainte-Marcelline pense peut-être qu'elle fait dur dans ses pantalons de jogging et ses chandails mous, mais elle est heureuse et épanouie. C'est tout ce qui compte!

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Vitamine Bdu lundi au jeudi, de 13 h à 16 h 45, à l'antenne de CFNJ 99,1-88,9 FM.