À l'occasion de son passage éclair au Salon du livre de Montréal pour la sortie de son plus récent roman, Salina, les trois exils, La Presse a rencontré le lauréat du prix Goncourt 2004.

Victime d'une injustice, Salina est condamnée à l'exil. Au lieu de recommencer sa vie, elle prépare sa vengeance. Celle-ci n'a pas de fin?

Dans ce livre, je voulais parler de la dynamique de la vengeance transmise d'une génération à l'autre. Au début, on comprend la colère de Salina ; puis on réalise que ce sentiment est un cercle vicieux. Pour mettre fin au cycle de la vengeance, il faut faire appel à une troisième personne (chez les Grecs, c'était les dieux). Et aussi, c'est ce que cette histoire illustre, accepter de perdre quelque chose.

L'univers dans lequel vous situez votre héroïne n'est pas défini. Le récit est en dehors du temps et de l'espace. Aviez-vous un pays en tête?

Effectivement, quand j'écris un livre comme ça, je convoque des images qui appartiennent à diverses réalités géographiques et temporelles. Pour une scène, je peux être au milieu du désert en Afrique, puis, pour une autre, à Bénarès, en Inde. J'aime cette liberté de pouvoir passer d'un univers à l'autre. Comme nous sommes dans l'imaginaire, tout est possible. Je peux tout juxtaposer. J'ai bien aimé le film Médée de Pasolini. Le cinéaste filme l'Antiquité grecque en juxtaposant des choses qui appartiennent à des lieux et des époques très différents. Un mélange grec et africain qui crée un univers antique cohérent.

Salina, comme bien des exilés, sera toujours à la recherche d'un impossible eldorado?

C'est une constante de l'humanité, face à la dureté et à la difficulté de vivre, de vouloir construire quelque chose de mieux et d'aller voir ailleurs pour le réaliser. La génération qui s'exile est souvent celle qui sacrifie sa propre existence pour les suivantes. L'immigration est un épisode bouleversant de la longue chaîne humaine. Et je ne vois pas au nom de quoi on peut humainement empêcher des gens de rêver de refaire leur vie ailleurs.

Vous pensez au président Trump et à ses partisans qui diabolisent les immigrants illégaux? 

Je viens de travailler sur la réédition en France d'un texte écrit par John F. Kennedy, alors qu'il était sénateur, sur l'histoire américaine des migrants: A Nation of Immigrants. C'est incroyable de constater à quel point le vocabulaire sur l'immigration aux États-Unis a changé en 60 ans. Kennedy parlait d'espoir, de désir, d'opportunité, etc. Tout son champ lexical est positif. Aujourd'hui, les mots employés sont: menace, invasion, criminels... Aux États-Unis, comme en Europe, le rapport à l'immigration est basé sur la solidité de l'identité nationale; sur la confiance en la capacité d'absorption des nouveaux arrivants dans un pays. C'est la grosse différence entre Trump et Kennedy.

Vous aimez bien alterner entre l'écriture dramatique et la littérature. Est-ce là un équilibre pour l'auteur? 

En effet, je trouve mon équilibre comme auteur dans le geste d'alterner entre les pièces et les romans. Le roman a une amplitude plus large. Il permet de plonger dans l'âme humaine. On peut passer 60 pages à écrire sur la mémoire, les souvenirs. Alors qu'au théâtre, certes il y a les monologues intérieurs, mais c'est plus contraignant. Au théâtre, l'auteur doit réfléchir en matière de situations et de personnages. On écrit quand même pour des comédiens qui ont besoin d'incarner une parole ou l'absence de parole, le silence.

__________________________________________________________________

Salina, les trois exils. Laurent Gaudé. Actes Sud/Leméac. 152 pages.

Salina, les trois exils

Image fournie par Actes Sud/Leméac