Sa série de thrillers autour de l’historien et cryptologue Tomás Noronha, vendue à des millions d’exemplaires dans le monde, lui a valu le surnom de Dan Brown portugais. Avec son plus récent titre, La femme au dragon rouge, il expose les atrocités des camps de rééducation chinois en s’inspirant de faits réels. Nous avons rencontré José Rodrigues dos Santos lors de son passage au Salon du livre de Montréal.

En plus d’écrire des thrillers depuis près de 20 ans, vous avez été reporter de guerre et vous présentez le journal télévisé en soirée sur la première chaîne publique portugaise depuis 32 ans. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Je suis encore reporter de guerre. D’ailleurs, je devais être en Israël cette semaine, mais j’ai reporté [mon voyage]. J’ai démarré ma carrière à 17 ans, à Macao. En 1991, je travaillais pour la BBC à Londres et la guerre du Golfe a été déclenchée. J’étais toute la nuit en direct, et après ça, je suis passé au journal du soir. Je ne suis pas le plus vieux, mais le plus ancien présentateur du journal du soir en Europe. [L’écriture] n’a jamais été dans mes horizons. Je faisais ma première thèse de doctorat sur le reportage de guerre, et le président de l’association portugaise des écrivains a lu le livre. Il m’a dit : « Je pense que vous êtes un romancier. » Il gérait un magazine et il m’a demandé d’écrire une nouvelle. Je n’avais pas envie, mais je ne pouvais pas dire non. Alors j’ai commencé à écrire une petite histoire sur le Timor oriental, basé sur ma recherche pour la thèse. Finalement, je me suis plongé, et soudain, j’avais 200 pages. Après, j’étais accro à l’écriture de fiction.

Pour écrire La femme au dragon rouge, vous avez consulté – comme vous le faites toujours pour vos romans – une vaste bibliographie (on vous a d’ailleurs décrit comme le « roi du thriller bien informé »). Quel a été le point de départ de cette histoire ?

J’avais déjà travaillé sur la Chine avec Immortel. Mais cette fois-ci, je suis allé beaucoup plus loin pour rendre compte de la situation des minorités, du retour des camps de concentration, avec des millions de personnes qui sont enfermées, et des projets d’expansion. Ce n’est pas un roman sur la Chine, mais sur le Parti communiste chinois – et c’est toujours important de le souligner, parce que les Chinois sont les premières victimes de ce régime. Puisque la Chine est un partenaire commercial si important, il faut comprendre ce qui se passe là-bas.

Aviez-vous dès le départ l’intention d’écrire pour mettre en garde ?

On n’en sait pas beaucoup sur les laogai de la Chine [camps de rééducation par le travail] parce qu’elle cache tout et elle oublie tout. Mais comme disait Soljenitsyne, quand on oublie le passé, on est condamné à le répéter. Et c’est en effet ce qui se passe en Chine. Mao l’avait déjà fait – d’une façon différente, certes, mais c’est à la base la même situation. Il nous faut en finir avec cette « République populaire de l’amnésie », comme on l’appelle. […] Le Parti communiste chinois est le plus grand génocidaire de l’histoire ; il a pris entre 30 millions et 65 millions de personnes. Il n’y a aucune personne, aucune organisation qui a tué autant de monde que le Parti, qui demeure là et avec qui on a des rapports normaux. Est-ce qu’on aurait des rapports avec les nazis ? C’est important de comprendre les enjeux.

Pourquoi la fiction est-elle le meilleur véhicule de transmission ?

Pour moi, toutes les grandes œuvres littéraires touchent à la vérité. Dans Madame Bovary, Flaubert a énoncé une vérité cachée au XIXe siècle, et c’est pourquoi c’est devenu une œuvre universelle. Dans 1984, de George Orwell, c’était la première fois que quelqu’un montrait ce qu’est le régime communiste soviétique. Et ce fut un choc – il a été même isolé, critiqué. […] La fiction est aussi très puissante. C’est une chose d’écrire : il y a plus d’une centaine de camps de concentration en Chine avec des millions de personnes enfermées pour des raisons ethniques et raciales. C’est autre chose de voir ce qui se passe avec une personne. Staline disait : « La mort d’une personne, c’est une tragédie ; la mort d’un million de personnes, c’est une statistique. » Et le roman nous ramène à la personne, à la tragédie. Quand on raconte, dans La femme au dragon rouge, l’histoire de Madina, on commence à s’identifier à elle et on comprend les choses d’une façon beaucoup plus puissante.

Pourquoi était-il important pour vous d’identifier dans une note de fin très détaillée tous les faits réels qui ont inspiré le roman et vos sources de référence ?

Je suis un universitaire ; j’ai enseigné pendant 25 ans à l’Université de Lisbonne, j’ai deux doctorats, alors ce côté universitaire est toujours présent. Je trouve que c’est important d’expliquer aux lecteurs ce qui n’est pas de la fiction. Ça aide à mieux comprendre et c’est une façon de fermer le roman.

Sur quels enjeux porte votre tout nouveau titre, Spinoza – L’homme qui a tué Dieu ?

Spinoza, c’est lui qui a créé, avec ses concessions, les démocraties libérales. On dit que le père du libéralisme, c’est John Locke. Mais ce qui s’est passé, c’est que John Locke est allé de l’Angleterre à Amsterdam après le décès de Spinoza ; il a lu toute son œuvre, puis il est retourné et il a écrit ses idées. Mais il ne pouvait pas le citer parce que c’était un auteur maudit, car il a dit : Dieu, c’est la nature, et la Bible, c’est une création humaine. Beaucoup de ce qui se passe aujourd’hui, on le trouve dans la vie de Spinoza : les questions de religion, les questions identitaires dont il parlait au XVIIe siècle. Alors il y a un lien parce que La femme au dragon rouge nous montre ce qui se passe aujourd’hui, et Spinoza – L’homme qui a tué Dieu nous montre comment nos sociétés libérales ont été créées et sont aujourd’hui attaquées.

José Rodrigues dos Santos accordera un grand entretien (en français) ce vendredi au Salon (de 13 h 15 à 14 h) et sera en séance de dédicaces samedi et dimanche (à 13 h). Il sera également en séance de dédicaces à la succursale Renaud-Bray de Côte-des-Neiges (samedi à 16 h). À noter que son plus récent titre, Spinoza – L’homme qui a tué Dieu, vient tout juste d’arriver en librairie cette semaine.

Consultez le site du Salon du livre pour tous les détails
La femme au dragon rouge

La femme au dragon rouge

Éditions Hervé Chopin

624 pages

Spinoza – L’homme qui a tué Dieu

Spinoza – L’homme qui a tué Dieu

Éditions Hervé Chopin

570 pages