Quel joli bouquet que ce premier roman de Marie-Hélène Sarrasin qui, après trois recueils de poésie, explore un nouveau genre littéraire sans s’éloigner des thèmes qui forgent son œuvre.

Professeure de littérature au cégep régional de Lanaudière à Joliette, Marie-Hélène Sarrasin a le territoire gravé sur le cœur. Celui qu’elle habite est au centre de ses écrits, en poèmes ou en prose. Il y est question d’ancrage et d’enracinement, d’urbanisation et de ruralité, de transmission et de tensions.

Au cœur de Douze arpents se trouve Marine, une libraire et mère de famille qui, à la mort de sa grand-mère, reçoit le rêve de celle-ci en héritage : celui de vivre à la campagne. Pour recevoir les avoirs de son aïeule, elle devra quitter sa banlieue pour s’établir dans un village de moins de 1000 habitants, situé à plus de 60 kilomètres d’une grande ville. Marine et ses deux enfants – de prime abord peu enthousiastes à l’idée d’être déracinés malgré les efforts de leur mère – prennent la direction de Saint-Didace, village natal de l’autrice.

Ils s’établissent dans l’ancienne maison d’Achillée Corriveau, une herboriste qui s’était opposée au passage du chemin de fer sur sa terre dans les années 1930. Marine vient juste de prendre possession de ses 12 arpents que l’histoire se répète : les pelles mécaniques s’activent, un projet immobilier s’érige au bout du rang.

Les luttes des deux femmes s’entrecroisent dans un récit sur quatre saisons qui fait habilement le pont entre les époques, celle d’Achillée et celle de Marine, qui partagent un amour commun pour les plantes, un attachement au territoire et même une voisine, enracinée dans son potager depuis 14 ans. Littéralement. « Elle s’est déchaussée et a enfoncé ses orteils entre le rang des tomates et celui des haricots grimpants, qui lui feraient de l’ombre. Depuis, le sol s’est creusé : jusqu’aux genoux, les jambes sont enfouies. »

Il faut bien quelques pages pour se laisser porter par le réalisme magique de ce roman qui instille le réel de quelques touches de fantastique. Pur délire ou figures de style ? On ne se pose pas la question bien longtemps et rapidement, on se surprend à ne pas du tout trouver incongru, mais plutôt très poétique, que des personnages à la longévité inhabituelle incarnent la mémoire vivante du village. Ou qu’en guise de protestation à l’atteinte au territoire, des légumes se mettent à envahir le chantier voisin comme, au siècle précédent, le tricot des sœurs Daoust avait fini par ensacher tout le village.

On se laisse porter par la magie ainsi que par une intrigue bien ficelée qui chevauche elle aussi les époques. Une lecture délicieuse qui arrive à point, avec les premières pousses du printemps et les promesses florales de l’été.

Douze arpents

Douze arpents

Tête première

208 pages

8/10