Il n’y a pas grand-chose de plus réconfortant, littérairement parlant, que l’arrivée d’un nouveau livre de Pierre Lemaitre.

Ainsi, même si Le grand monde, premier tome de sa nouvelle trilogie Les années glorieuses, nous avait légèrement déçue il y a deux ans, on est revenue à lui cette année parce que même les moins bons Lemaitre savent nous divertir intelligemment. Et avec l’espoir qu’il soit dans de meilleures dispositions que la dernière fois – espoir qui n’a heureusement pas été déçu.

Dans sa précédente trilogie, Les enfants du désastre, dont la première partie Au revoir là-haut lui a valu le Goncourt en 2013, Pierre Lemaitre se plaisait à nous surprendre en ramenant au premier plan, d’un tome à l’autre, des personnages secondaires. Ce n’est pas le cas de celle-ci, qui est consacrée aux « Trente glorieuses », soit les années 1940, 1950 et 1960. En effet, Le silence et la colère se déroule en 1952, seulement quatre ans après la fin du Grand Monde, et ramène les trois enfants de la famille Pelletier encore vivants, François, Jean et Hélène, ainsi que leurs parents, Louis et Adèle, qui demeurent toujours à Beyrouth.

Un peu décevant pour qui aurait eu envie de changer d’univers, mais l’astuce est finalement intéressante, entre autres parce qu’elle permet d’approfondir davantage ces personnages dont on ne connaissait que les contours. Et on n’aura la confirmation que lors de la publication du dernier tome, mais l’ensemble commence drôlement à ressembler à une grande saga familiale. Mais une saga à la sauce Pierre Lemaitre, réglée au quart de tour et qui mêle habilement la petite et la grande Histoire, moins politique et plus sociale, et qui s’intéresse davantage aux détails et aux anonymes qu’aux grands de ce monde.

Les enfants Pelletier sont donc, de nouveau, à la fois témoins et acteurs d’un monde qui change à une vitesse folle. Et leurs péripéties montrent l’avancée du progrès dans tout ce qu’il a de monstrueux, de fascinant et d’inéluctable.

C’est Hélène surtout qu’on suit : la jeune femme, devenue photojournaliste, couvrira pratiquement en direct l’agonie d’un village, en voie d’être inondé après l’érection d’un barrage hydroélectrique.

La mort annoncée de Chevrigny, avec ce que cela entraîne en matière de tensions et de chicanes, de mouvement de solidarité et de secrets enfouis qu’on déterre, ainsi que l’histoire d’Hélène – qui finit bien ! –, c’est tout cela le cœur de ce livre qui parle aussi d’hygiène féminine et d’avortement, de magasins à grande surface et de syndicalisation, de violence domestique et de harcèlement sexuel, de boxe et d’amour... et qui met en scène une foule de personnages secondaires qui sont la richesse des livres de Lemaitre, que ce soit un policier qui fait la chasse aux avorteurs, un attachant idiot du village ou un ingénieur intransigeant au dessein caché.

Face à cette histoire centrale étoffée et palpitante, toutes les autres, à côté, semblent un petit peu moins intéressantes. C’est le prix à payer, mais ce n’est pas si grave, car le résultat est aussi un livre moins éparpillé, qui nous ramène aux meilleurs Lemaitre. Et même si son ton est moins truculent, son regard n’est pas moins pénétrant, et l’auteur y insuffle une certaine douceur qu’on ne lui connaissait pas.

Pierre Lemaitre nous entraîne ainsi vers un surprenant happy end, doux-amer certes, mais quand même réconfortant... malgré les points de suspension qui nous laissent entrevoir un épisode final explosif.

« À l’issue d’épisodes difficiles, chacun devait espérer que le temps se chargerait d’en effacer les traces. Ayant vu comme le passé pouvait soudainement remonter à la surface, Louis et Adèle étaient les seuls à ne pas y croire beaucoup. » Avec ce genre de mise en place, on a déjà hâte à la suite.

Le silence et la colère

Le silence et la colère

Calmann Levy

584 pages

7,5/10