« À soir, ce sera pas du Shakespeare », prévient Christine Morency au tout début de Grâce, un premier spectacle qui montre qu’elle a effectivement davantage en commun avec Jean-Marc Parent qu’avec l’auteur de Macbeth, mais qui confirme surtout qu’elle est née pour la scène. Être ou ne pas être humoriste ? Il est absurde, presque invraisemblable, qu’elle se soit aussi longtemps posé la question.

Fidèle à ses habitudes, Christine Morency est montée sur la scène de l’Olympia au son d’un rythme reggaeton. Mais ce n’est pas tous les soirs que l’humoriste est accueillie par une ovation monstre, comme ce fut le cas mercredi, un témoignage d’enthousiasme encore plus rare lors d’une première médiatique.

Affligée par une laryngite, Christine Morency a bien failli devoir reporter cette première, ce qui aurait été parfaitement compréhensible, mais qui n’aurait pas tellement ressemblé à cette femme « faite sur le rough », comme elle se décrit elle-même d’emblée. Avec un premier numéro en forme d’autoportrait d’une « fille pas raffinée », mais dont la chaleur suscite tout de suite l’affection, la nouvelle venue de 36 ans met cartes sur table. Elle ne pourrait mieux se définir que lorsqu’elle se compare à cette « cousine pas barrée » qui parle trop fort et sur laquelle toutes les familles peuvent compter pour rire, une fois les bouteilles bien entamées.

Tissé d’anecdotes d’une explosive loufoquerie, Grâce porte la marque de l’influence de deux vétérans dont Christine Morency a souvent parlé en entrevue : Lise Dion et Jean-Marc Parent. Elle emprunte à la première non seulement un grand sens de l’autodérision, mais aussi une même intensité physique, portée par un magnifique abandon. Chacune de ses grimaces, chacun de ses gestes exacerbent le potentiel comique d’un texte qui pourrait autrement apparaître mince.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Christine Morency, lors de sa première médiatique à l’Olympia

Quant à l’animateur de L’heure JMP, elle lui emprunte un modus operandi consistant à utiliser des moments de vie drôles, mais un peu banals, comme canevas de base. Visite catastrophique à La Ronde, visite catastrophique aux glissades d’eau, visite catastrophique dans un tout-inclus, séance catastrophique d’épilation : Christine Morency décline plusieurs variations de la même histoire, ayant presque toutes en commun un corps qui se heurte à un monde conçu pour les personnes minces.

Sans surligner son message, l’humoriste met ainsi en lumière la grossophobie larvée de la société dans laquelle nous vivons, mais se sert surtout de ses anecdotes comme d’un tremplin afin de rire d’elle-même.

N’importe qui d’autre raconterait ces histoires qu’elles nous laisseraient fort probablement de glace, mais Christine Morency leur insuffle une explosive énergie, leur permettant de transcender leur aspect plus ou moins anodin. Ses monologues atteignent presque tous un point d’orgue durant lequel elle mitraille son public de gags, quelque part entre le féminisme d’une Ali Wong et la vulgarité de l’époque des cabarets.

Et malgré l’obscénité de quelques-uns de ses numéros où il est question de sexe, Christine Morency ne choque jamais vraiment, sans doute parce qu’il est impossible d’en vouloir à la cousine pas barrée d’aller juste un peu trop loin.

Pas mentir

Grâce incarne donc l’exemple parfait d’un premier spectacle dont presque tous les numéros font mouche, mais qui demeure néanmoins un peu en surface. Un passage durant lequel Christine Morency pousse le deuxième degré à sa dernière limite en se désolant de ne jamais avoir été harcelée sexuellement, contrairement à toutes ses amies, pointe dans la direction d’une plus grande audace sur le plan du ton et de la forme, mais tranche trop avec le reste. À preuve, l’humoriste sentira le besoin de préciser qu’il s’agit là d’ironie, ce que tout le monde avait bien sûr déjà compris.

« M’a pas te mentir », répète-t-elle fréquemment, une locution qui encapsule parfaitement les raisons pour lesquelles ses récits rocambolesques sont à ce point enlevants.

Difficile de ne pas employer le mot « authenticité » pour décrire celle qui enjolive sans doute un peu ses histoires, mais dont les exagérations ne brisent jamais la magie, parce que le cœur de ce qu’elle raconte – une jeune femme tente de s’épanouir dans un monde qui lui rend la vie difficile – est, lui, purement vrai.

Christine Morency ne fait carrière en humour que depuis 2017 et confiait en entrevue avoir longtemps douté de sa légitimité, ce qui apparaît ahurissant, tant il est évident qu’elle est née pour la scène. Christine Morency n’est pas une orfèvre de la blague savamment construite, mais bien une personnalité plus grande que nature, investie d’un irrésistible charisme, dont elle sait parfaitement faire usage.

Elle entend le titre de son spectacle, Grâce, au second degré. « La grâce est dans le décor », lance-t-elle en pointant ses rideaux dorés. Mais rien n’est plus faux : Christine Morency a réellement été touchée par la grâce des dieux du comique.

Grâce

Grâce

de Christine Morency

En tournée partout au Québec

7,5/10