« Pourquoi tu ne peux pas juste faire des jokes comme tout le monde ? » Jérémie Larouche ne compte plus le nombre de fois que cette question lui a été lancée par des collègues qui l’observaient arriver dans les coulisses d’une salle de spectacle avec ses multiples « cossins ». En bon disciple d’Harry Potter, l’humoriste ne s’est pas laissé abattre par ces tristes Serpentards. Il condense les sept tomes de la série culte de J.K. Rowling dans un délirant théâtre de papier, Harry Paper et la parodie en carton.

De chaque côté de Jérémie Larouche, sur la petite scène du Lion d’Or : deux bibliothèques contenant une vingtaine de livres, qu’il déplie sur une grande table devant lui et desquels émergent, à la manière d’un album pop-up pour enfants, les décors de Poudlard dans lesquels il fera interagir ses fragiles personnages de papier.

Bienvenue dans Harry Paper et la parodie en carton, un condensé en 130 minutes des sept romans (ou des huit films) de la saga de J.K. Rowling. Un abrégé se permettant « des libertés par rapport à l’original », prévient d’emblée l’humoriste, un avertissement que l’on pourra rapidement qualifier de gigantesque litote.

PHOTO ANTHONY DESCHAMPS, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Jérémie Larouche sur scène

Avec ses nombreux clins d’œil à l’actualité, sa trame sonore éclectique (Marjo, George Michael, AC/DC) et ses personnages considérablement métamorphosés (Hagrid devient un motard ne jurant que par CHOM-FM), cette relecture ressemble autant à un hommage qu’à un pastiche, autant à un compte rendu consciencieux qu’à une débauche de digressions improbables.

Véritable pieuvre, Jérémie Larouche contrôle lui-même, grâce à une minuscule console, les éclairages, la musique, la vidéo, en plus de manipuler ses poupées de fortune, dans cette sorte d’épisode de L’Évangile en papier auquel on aurait injecté la ferveur geek typique d’un Comiccon.

Le grand enfant, qui prend encore visiblement beaucoup de plaisir à jouer avec ses bonshommes, fabrique lui-même ses marionnettes, mais ne les ménage pas pour autant. « Une chance que j’ai numérisé tous mes dessins, explique-t-il en entrevue, parce que tu vois, juste mardi soir, j’en ai scrappé quatre. »

Trouver sa pertinence

C’est alors qu’il participe à l’émission En route vers mon premier gala Juste pour rire en 2014 que Jérémie Larouche découpe ses premiers personnages en carton, parce qu’il lui était interdit d’utiliser à la télé, pour des raisons légales, les Barbie de ses filles qu’il employait jusque-là pour illustrer ses numéros.

Il créait en 2016 La saga des étoiles, un récapitulatif des six premiers épisodes de Star Wars, lui aussi raconté à l’aide de cure-pipes et de bâtons à brochettes pour barbecue. Le but, comme avec cette interprétation très libre de l’histoire du garçon avec une drôle de cicatrice dans le front, « c’était de pouvoir mettre l’ensemble de ce show-là dans [sa] Hyundai Elantra ».

Diplômé de la cohorte 2010 de l’École nationale de l’humour, où il enseigne aujourd’hui, Jérémie Larouche aura trouvé par accident dans cette forme singulière qui date du XIXe siècle – le théâtre de papier – le récipient parfait dans lequel déverser le trop-plein de son esprit, qui ne connaît que le point d’ébullition.

Quand j’étais à l’École, on nous martelait qu’il fallait viser les 7 à 77 ans, ratisser large. Charles Beauchesne et moi, on se faisait dire : ‟Vous allez faire rire trois personnes avec vos idées weird. Essayez donc d’être plus comme Martin Matte.” Mais des hommes cis qui font de l’humour, il y en a une chiée. C’est quoi, ma pertinence à moi ? Ça m’a toujours habité, cette question-là.

Jérémie Larouche

« Make Poudlard great again »

Si elle est manifestement l’œuvre d’un éternel gamin qui n’a jamais renoncé au pur plaisir de jouer, Harry Paper et la parodie en carton permet aussi à Jérémie Larouche de commenter obliquement notre présent, qu’il dépeigne Cornelius Fudge, ministre de la Magie, en trumpiste en puissance (« Make Poudlard great again »), ou qu’il évoque de manière judicieusement insolente les nombreuses déclarations controversées de J.K. Rowling au sujet des personnes trans.

Si bien qu’il n’est pas nécessaire d’avoir reçu son diplôme de Gryffondor pour être emporté par l’extravagante magie d’Harry Paper et la parodie en carton ; l’auteur de ces lignes, un vulgaire Moldu, peut le confirmer.

Mardi soir au Lion d’Or, l’ambiance ressemblait d’ailleurs davantage à celle d’une projection du Rocky Horror Picture Show qu’à une traditionnelle performance humoristique, avec ses spectateurs déguisés, qui commentaient à voix haute les retournements d’une épopée qu’ils connaissent par cœur, et qui complétaient souvent, avant que Larouche ait le temps de le faire, des répliques mythiques.

« Quand d’autres humoristes me demandent : ‟Pourquoi tu ne peux pas juste faire des jokes comme tout le monde ?” je réponds toujours : ‟Parce que ce serait trop facile” », blague Larouche. C’est Dumbledore qui l’a dit : il faut beaucoup de bravoure pour tenir tête à nos ennemis, mais tout autant pour tenir tête à nos amis.

Harry Paper et la parodie en carton, en tournée partout au Québec

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