En 2017, peu après avoir présenté son premier numéro bilingue dans une soirée d’humour à Gatineau, Rachelle Elie assiste à un spectacle de François Bellefeuille à la Salle Odyssée, là où les vedettes du rire québécois s’arrêtent lors de leur visite en Outaouais. « Et j’étais comme : “Holy cow ! 900 personnes dans une même salle pour voir un humoriste !” Il y avait un Hollywood au Québec et je ne le savais même pas ! »

Rachelle Elie prononce son prénom à la française, et non comme le personnage de Jennifer Aniston dans Friends. Et bien qu’une pointe d’accent anglais colore ses phrases lorsqu’elle s’exprime dans la langue d’Yvon Deschamps, l’humoriste maîtrise le français depuis l’enfance.

Fille d’une mère américaine et d’un père haïtien ayant quitté son pays pour les États-Unis afin d’étudier à Cornell, celle que ses proches surnomment tout simplement Rash (« Comme dans éruption, oui ! ») est née à Toronto, mais est allée à l’école en français jusqu’en 5année.

Après des études de théâtre à Vancouver, puis à Lennoxville, elle constate vite qu’elle est entourée dans la métropole canadienne de jeunes comédiennes qui, comme elle, jouent les serveuses dans des restaurants, en attendant une audition concluante et salvatrice. Elle se tourne alors vers le stand-up, comme on embrasse sa nature profonde.

Je n’ai pas vraiment voulu être humoriste, c’est juste quelque chose que j’avais en moi, et parfois, c’était même trop. Je le dis en spectacle, et ce n’est pas vraiment une blague, que j’ai été expulsée du circuit des partys de maison, tellement j’essayais tout le temps de faire rire tout le monde.

Rachelle Elie

Mais au moment où elle tombe enceinte de son premier fils au début des années 2000, elle déserte le circuit torontois des comedy clubs, alors peu accueillant pour les femmes, encore moins pour les jeunes mères.

« L’environnement n’était pas positif, se souvient-elle. C’était dans des sous-sols, les gens fumaient, il y avait toujours des hecklers [des chahuteurs]. Tu devais endurer les gars qui ne parlaient que de porno et de masturbation. »

Rachelle renoue rapidement avec la scène en mettant au monde le personnage loufoque de Joe, un affable perdant à la chevelure poivre et sel et au sourire édenté, qu’elle crée lors d’un atelier de clown avec Philippe Gaulier, l’intimidant professeur de Sacha Baron Cohen (Borat). Elle le trimballera sur différentes scènes alternatives, partout au Canada.

« Mais après huit ans à faire Joe, j’ai réalisé que je ne voulais pas jouer un homme toute ma vie. J’allais voir des spectacles de stand-up et ça me tannait de ne pas entendre de femmes, de ne pas entendre ma voix. J’avais une responsabilité envers moi-même et envers les femmes : puisque j’avais la capacité de faire du stand-up, il fallait que je fasse du stand-up. »

Trouver sa famille

En additionnant le spectacle qu’elle présente avec Val Belzil, la soirée de variétés qu’elle anime (le Rag Bag Cabaret) et ses différentes participations à d’autres affiches, Rachelle Elie est l’artiste cumulant le plus de temps de scène de l’actuelle programmation du Zoofest. Elle sera aussi jeudi du Gala Juste pour rire de Phil Roy et Roxane Bruneau, et vendredi, de la grande fête extérieure d’Erich Preach.

Après des années de galère sur les scènes torontoises et ottaviennes, la scintillante blonde de 53 ans, qui habite la capitale avec son mari gynécologue et leurs deux fils, a visiblement trouvé au Québec son eldorado. Ses allers-retours Ottawa-Montréal se multiplient.

« Avant, je venais à Just For Laughs, mais c’était juste pour voir des shows, ironise-t-elle. C’est vraiment difficile pour les anglophones canadiens qui ne vivent pas à Los Angeles d’être invités dans un gala Just For Laughs. Mais au Bordel [où elle joue souvent], c’était au premier jour comme si j’étais une membre de la famille. »

Dotée d’un implacable sens de la répartie rappelant Joan Rivers, Rachelle Elie habite la scène avec un magnétisme rare, qui témoigne à la fois de son pur charisme et d’une longue expérience du micro. Shit I’m in Love with You Again, un album de chansons polissonnes et de courts monologues assortis, paru en janvier dernier, recèle de précieux conseils pour une vie de couple épanouie, comme celui de folâtrer avant de se rendre au restaurant pour manger avec son conjoint (Fuck First), et non après, quand on risque d’être trop ballonné pour s’exécuter.

« Si tu viens au spectacle avec ton partenaire et que tu n’as pas de sexualité après le show, je vais te redonner ton argent », blague-t-elle parfois sur scène. Pourquoi ? « Parce que beaucoup de couples ne parlent pas de sexe. Des divorces surviennent tout le temps juste parce que les couples arrêtent de communiquer. Mais quand ils sortent de mon spectacle, tous les tabous ont été brisés, ils n’ont juste pas le choix de se parler. »

Le 30/30 de Rachelle Elie et Val Belzil, les 20 et 23 juillet au Cabaret du 4e du Monument-National

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